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Ziza a donc rendu, comme on va le voir, de grands services pécuniaires à l’écrivain, mais après que la fortune et une renommée
planétaire soient venues, pour ce dernier, les relations entre les deux hommes n’en sont pas moins restées confiantes et suivies,
attestant par là une amitié authentique. La correspondance permet également de suivre sur trente-cinq ans l’étourdissante carrière et
l’ascension sociale qui en a résulté du plus célèbre auteur de romans policiers de son siècle.
En outre, l’ensemble des lettres fait ressortir, sans jamais la moindre défaillance, le caractère heureux et la nature entreprenante et
optimiste de Georges Simenon.
En
1928
il achète
La Ginette
, bateau de cinq mètres de long : « On vit à bord mais on travaille place des Vosges. Y adresser le courrier
». (Il fera le tour de France par les rivières et les canaux).
« Maintenant, parlons affaires ! Hum !… Affaires toujours les mêmes, d’ailleurs. Comme vous le savez j’ai fait un saut de
2
jours à
Paris où j’ai signé d’assez mirifiques contrats. Entre autres Fayard, outre les
5
000
francs mensuels qu’il me verse pour ses collections
populaires, crée cet hiver une collection spéciale pour mes romans policiers. Il a commencé à publier le premier,
2
e
bureau, dans
Ric et
Rac
, en succession d’un Jack London… ce qui n’est pas trop mal ».
« Du coup j’ai décidé dans mon emballement habituel de terminer en
15
jours des perfectionnements du bateau que je comptais faire
peu à peu au cours de l’hiver. Des tas d’ouvriers se sont abattus sur
L’Ostrogoth
[un cotre de
10
m] qui depuis lors ressemble à un
chantier d’où sort un délicat objet de luxe. […] Je n’en sais rien et je m’adresse à un moment au bon Dieu, à savoir M. Raymond Ziza,
qui va, comme je le connais, se décarcasser pour tirer ce Sim incorrigible d’embarras. […] Tout en parlant d’affaires je vous ai dit les
nouvelles.
L’Ostrogoth
est une pure merveille. On va le faire photographier et vous envoyer le portrait. Ici, on m’en offre déjà
65
.
000
francs. Et ce qui est plus beau, tout est payé ! Comme quoi je fais des économies sans le vouloir. Il ne manque plus que l’éclairage
électrique que j’hésite à faire placer à cause des dangers ». (Vers
1928
-
1929
).- Peu après il annonce « le baptême de mon bateau par le
curé de Notre-Dame avant notre départ pour le Nord ».
« Un peu partout des arrêts pour travail. Moteur marche à merveille. Santé splendide, etc. À Reims nous avons été reçus par la maison
Pommery. Visite des caves et dégustation de champagne hors commerce
1911
brut. Une merveille ! Maintenant nous nous sommes
installés à Asfeld (Ardennes) dans le canal des Ardennes, petit bourg paisible où nous comptons repeindre tout notre bateau avant de
repartir vers la Belgique, pour laquelle nous n’avons que deux à trois jours de marche. […] Je vais aller aider Régine à gratter le pont.
Je ne sais plus écrire, même à la machine. J’ai le cerveau engourdi par l’air. Et pourtant je travaille autant qu’à Paris ». (Asfeld,
Ardennes,
25
avril
1929
).
« À part cela tout va bien. Nous faisons de la voile, de la chasse et de la pêche. Apprenons notre métier de marin et transformons
L’Ostrogoth
de la quille à la pomme du mât. Il reviendra méconnaissable. […] Je ne peux plus écrire à la main. C’est terrible ! Illisible
! » (S.d., août. [
1929
]).
« Alors à Paris t’Serstevens signe
Taïa et Merle
en prison et Colin qui fait le portrait du pacha » (de la main de Régine, vers
1929
).
« Navigation mouvementée. Dans
2
ou
3
jours entrons dans le Zuiderzée à la recherche d’un petit coin pour nous reposer
15
jours.
Car on a dû turbiner. Écrire ! Des romans et des romans ! Puis naviguer ! Et ici ce n’est pas simple ». (Paris,
1929
).
« Blague à part ! Ne m’en voulez-vous pas trop. Je suis incorrigible. Et pourtant je fais des progrès. On vient de faire des comptes.
Savez-vous combien sur l’année on a fait d’économie (en achetant du matériel qui reste, bien entendu) ? À peu près
70
.
000
. Du jour
au lendemain nous pourrions avoir ici
60
.
000
de notre bateau. Encore quelques petites dettes sans importance (fournisseurs). À peine
2
.
000
(moi qui en ai toujours traîné
20
.
000
derrière moi) et tout est clair. Je rentrerai vierge à Paris ! Ceci pour vous montrer que je
suis vos bons conseils. Il ne me restera plus qu’à me faire décorer ». (Paris, vers
1929
).
« Çà y est ! Me voilà encore obligé de vous taper odieusement si je ne veux pas perdre une dizaine de jours. J’ai couru hier jusqu’à
7
heures du soir sans résultats intéressants. Chez Nathan on me dit que l’affaire est faite mais que M. Nathan me convoquera dans
quelques jours, quand les techniciens auront fait les devis du film ». (Paris, vers
1930
).
« Je fais encore appel à vous. Voilà ce qui se passe. Foujita a acheté mon bar et quelques meubles. Il me doit
5800
frs que j’espérais
toucher hier mais qu’il ne me payera que demain ». (Paris, vers
1930
).
« Pas la peine, dans ce cas, d’écrire plus longuement. Je serai d’autant plus ravi de cette détente que je terminerai samedi une série de
trois romans … et qu’il ne m’en restera plus qu’un pour finir mon été ». (Paris, vers
1930
).
« Travail sans répit. Quatre films cet automne, dont deux avec Raimu. Des romans dans tous les journaux. Je ne cesse pas de refuser
des commandes… » (Fontenay-le-Comte, Vendée,
13
nov.
1941
).
« Nous vivons tranquillement dans une propriété magnifique et je travaille beaucoup.
5
films cet hiver, dont un avec Raimu ! D’autres
en perspective ! Dix romans, toujours, bien entendu. Seule l’impossibilité de voyager comme nous en avions l’habitude pourrait nous
peser parfois ». (Château de Terre Neuve, Fontenay-le-Comte, Vendée,
23
janvier
1942
).
« Je vous réponds tardivement car notre metteur en scène est venu de Paris me soumettre le scénario de mon prochain film avec
Raimu. Les dialogues étaient si mauvais que je les ai refaits complètement - en
3
jours car on commence à tourner la semaine prochaine
… »
« Pas encore reçu un seul bouquin. Mais je vous en enverrai qq-uns dès mon retour à St Mesmin vers le
15
septembre. Et nous
espérons vous voir là bas cet automne. Excusez-moi auprès de votre ami Haraumont ( ?) de le faire attendre. Il peut compter sur moi ».
(La Bourboule, vers
1942
-
1943
).
« Je vais vous joindre
La Vérité sur Bébé Donge
à la caisse par laquelle je vous retournerai les bouteilles vides. J’espère donc que vous
le recevrez. Dès que d’autres volumes para(u)îtront je les joindrai à mes envois ». (Saint-Mesmin-le Vieux, Vendée,
27
janvier
1943
).
« Nous vivons encore plus repliés sur nous-mêmes qu’à Nieul où notre maison est transformée en hôpital. Je crois que je suis allé trois
fois à Paris (et chaque fois pour quelques heures) depuis la guerre. J’écris beaucoup mais je ne donne rien à mes éditeurs en ce moment
car avec le manque de papier on ne peut pas faire des tirages assez intéressants. Tout ce qui se publie, ce sont des romans anciens. Pour
le reste j’ai terminé un gros bouquin de plus de mille pages « Pedigrée » auquel je rêvais depuis longtemps et quand je sortirai plus