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contexte de la tradition des manuscrits de Quinte-Curce en traduction
française – permet de rajouter un commanditaire supplémentaire
à la liste des notables qui se sont procurés un manuscrit enluminé
du texte. Un certain nombre de témoins connus de la traduction de
Vasque de Lucène sont de facture lilloise : citons Londres, BL, Royal
17 F I; Malibu, J. Paul Getty Museum, Ludwig XV 8. La traduction de
Vasque de Lucène fut imprimée pour la première fois circa 1503 à
Paris, par Antoine Vérard [
Quinte Curse de la vie et gestes d’Alexandre
le grant
, Paris, Antoine Vérard, après juillet 1503] et aussi par Michel
Lenoir, également circa 1503.
On distingue a priori deux mains dans ce manuscrit: l’artiste de la
majorité des grandes miniatures peintes en grisaille ou semi-grisaille
(14 miniatures) avec la participation d’un second artiste (2 miniatures,
fol. 13 (frontispice ?) et fol. 86). L’artiste de la majorité des miniatures
privilégie des grisailles très noires, avec des arcs dentelées en accolade
surmontant les miniatures, des visages creusés et l’emploi de rehauts
blancs sur les armures et les drapés et des rehauts dorés pour les
éléments de fer ou d’orfèvrerie (couronnes, coupes, épées). Il est à
rapprocher du «Maître aux grisailles fleurdelisées» dont la main fut
récemment identifiée par I. Hans-Collas et P. Schandel (Hans-Collas
et Schandel, 2009, pp. 164-165; Bousmanne et Delcourt, 2011, pp.
372-377). C’est un artiste actif à Lille, proche du Maître de Wavrin
et du Maître du Champion des dames avec qui il partage des traits
stylistiques, œuvrant pour des bibliophiles lillois, nomme «aux grisailles
fleurdelisées» car le motif de fleur-de-lis revient fréquemment dans
ses compositions et encadrements. Cet artiste pratique aussi abon-
damment la semi-grisaille comme dans le présent manuscrit où les
touches de couleur viennent rehausser les aplats des nuances grises
tirant sur le noir: les dallages des intérieurs, le sang des blessés ou tués
dans les scènes de bataille, le feu des incendies et sièges. On notera
les couvre-chefs stylisés, hauts de taille et architecturés : Alexandre
le Grand est bien identifié au moyen de sa couronne rehaussée d’or
et surmontée de fleurons. Parmi les œuvres attribuées au Maître aux
grisailles fleurdelisées, on citera tout particulièrement le Recueil
des histoires de Troie de Raoul Lefèvre et les Epitaphes d’Hector
et Achille de Georges Chastellain (Paris, Arsenal, MS 3692) pour
la proximité des figures, notamment les personnages en armure,
l’emploi de la semi-grisaille et la similarité des compositions et
de la gamme chromatique.
Le second artiste qui semble avoir participé à la réalisation de
deux miniatures serait le «Maître de la Toison d’Or de Vienne et de
Copenhague», artiste nommé à partir de son manuscrit principal,
Histoire de la Toison d’or
de Guillaume Fillastre dont le manus-
crit est dispersé entre Vienne, Copenhague, Dijon et Epinal. Cet
artiste est actif à Bruges où il travaille pour des commanditaires
tels Charles le Téméraire, Edouard IV, Antoine de Bourgogne,
Louis de Grutthuse ou Jean de Croÿ. Plusieurs indices tendent à
faire penser qu’il a été actif non seulement à Bruges mais aussi
à Lille: il a enluminé des livres écrits par des copistes lillois tels
que Jean Du Quesne, il a travaillé pour des commanditaires lillois
comme Guillaume de Ternay, prévôt de la ville et certaines de ses
réalisations ont été reliées par un relieur lillois, Vincent Gohon.
Enfin, le Maître de la Toison d’or de Vienne et de Copenhague a
collaboré avec le «Maître aux grisailles fleurdelisées». Les deux
artistes – ou leurs ateliers – ont collaboré dans certains manuscrits
tels une
Chronique de Baudouin d’Avesnes
, destinée à Louis de
Gruuthuse, plusieurs miniatures du Maître de la Toison d’or de
Vienne et de Copenhague en collaboration avec le Maître aux gri-
sailles fleurdelisées (Paris, BnF, fr. 279); ou encore les
Chroniques
de Pise
pour Guillaume de Ternay, prévôt de Lille (Darmstadt,
Universitäts- und Landesbibliothek Darmstadt, Ms.133). Nous serions
tentés de reconnaître sa participation dans la miniature frontispice
(f. 13) et dans celle associée à la rubrique «Comment Alexandre
fonda la cité d’Alexandrie en Egipte» (f. 86) mais sans certitude.
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