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les collections aristophil

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VALÉRY PAUL (1871-1945) ET

LATTRE DE TASSIGNY JEAN DE

(1889-1952) GÉNÉRAL

Correspondance

: L.A.S. de Paul

Valéry, 2 L.A.S. et 1 L.S. du général de

Lattre de Tassigny, 1939-1945; 2 pages

in-4 et enveloppe, et 5 pages in-8

et 1 page in-4 à en-tête du général.

Correspondance: Signed autograph letter

from Paul Valéry, 2 signed autograph

letters and 1 signed letter from de Lattre

de Tassigny, 1939-1945; 2 pages in-4;

5 pages in-8; 1 page in-4 on letterhead (DE

LATTRE DE TASSIGNY).

2 000 / 2 500 €

Très bel échange entre le poète et huma-

niste, et le militaire

, qu’il avait rencontré en

1939 chez Jean Voilier.

Capvern 9 août 1939

. Le général est en cure et

prend « quelque repos» dans les Hautes-Py-

rénées: « Je suis infiniment sensible à votre

si bienveillante pensée. […] J’ai conservé moi

aussi un très fidèle et excellent souvenir de

notre rencontre chez cette si charmante

amie Jeanne. Et vous retrouver me serait

également une véritable joie»…

16 janvier 1940

. Le général, qui commande

la 14

e

Division, a pris un peu de répit « pour

lire attentivement les pages que vous avez

consacrées à

la Pensée et l’Art français

. En

suivant, de point en point, l’enchaînement

de vos idées et le détail de votre analyse, j’ai

eu le sentiment de saisir mieux, moi-même,

tout ce que notre France, sa pensée, son art,

dans leurs manifestations les plus profondé-

ment originales, ont apporté, pour reprendre

votre propre expression, à “la constitution du

capital de l’esprit humain”. Je vous sais gré

de me l’avoir fait sentir. C’est précisément

pour défendre la valeur et les formes de

cet apport que nous faisons cette guerre. Et

c’est en raison de l’importance d’un tel enjeu

que nous mettons toute la force de notre

conviction à vouloir la mener jusqu’au bout»…

Il se réjouit d’avoir près de lui le gendre de

Valéry, Paul ROUART, qui déploie « un entrain

et sa générosité avec une foi et un zèle que

j’apprécie hautement»…

Dinard 2 août 1940

(la lettre a été retournée

à Paul Valéry, le libellé de l’enveloppe au

« Commandant du Département du Puy

de Dôme» étant

inadmissible

, selon un

tampon). Réfugié à Dinard, Paul Valéry

félicite le général de sa promotion dans

l’Ordre et ses vœux vont de tout cœur « au

chef admirable dont le malheur de toute

notre armée n’a fait qu’exalter les dons et la

valeur. Je tiens aussi à vous exprimer toute

notre reconnaissance pour l’intérêt que vous

avez témoigné à mon gendre Paul Rouart,

depuis le début jusqu’à l’amère conclusion

de cette lamentable guerre. C’est un hon-

neur pour nous que Paul ait servi sous vos

ordres, dans une division qui a été ce qu’il

eût fallu que bien d’autres fussent. Je vous

remercie également de l’accueil que vous

avez bien voulu faire à mon jeune François

[son fils]. Que vont devenir ces enfants ?...

Par une conséquence assez paradoxale des

événements, ils sont libres et c’est le reste

de la famille qui est prisonnier. C’est un état

étrange, gênant, humiliant; mais assez ins-

tructif. Je suis frappé ici de bien des choses,

sur lesquelles je ne puis m’étendre. Je vois le

nombre, la condition physique toute sportive

de ces hommes, pour la plupart, excellents

nageurs, qui montrent, au soleil, sur la plage,

des corps fort bien nourris et entraînés; on

s’étonne de les voir là, mêlés aux enfants qui

jouent, et jouant eux-mêmes ou chantant,

parmi bien des dames à peine vêtues qui

se font brunir, au lieu de rougir d’être là.

Je vois aussi leur matériel considérable, en

mouvement permanent; leur discipline très

stricte, et pourtant qui semble très diffé-

rente de celle du type prussien de l’ancienne

armée. On constate enfin, une correction

réelle (en dépit de certaines mesures de

restriction ou d’éviction rapide) à l’égard de

la population. Tout ceci donne à réfléchir, et

le regard réfléchi revient sur nous et sur notre

lendemain. Je voudrais m’assurer que ce

lendemain dépend de nous, et de nous seuls;

bien seuls, et tout seuls: ne plus compter ni

sur les autres, ni sur les miracles, ni sur l’à

peu près – conditions essentielles. Et puis,

vouloir

. C’est le point le plus inquiétant de

cet état critique. Je ne désespère que quand

je doute si nous voudrons. Mais la première

manifestation de la volonté est, et doit être,

la volonté de savoir. Comme tout ce qui est

réel, notre ruine a une infinité inextricable de

causes, parmi lesquelles on peut cependant

distinguer l’ignorance désastreuse, chez la

plupart des Français, de la véritable puissance

relative de la France. On n’enseignait jamais

dans nos écoles notre rang statistique en tous

genres parmi les nations; on n’éclairait pas

nos insuffisances, ni ce que nous pouvions

faire pour subsister, et puis, pour tenir la

belle place que nous pouvions tenir, entre les

nations dominantes et exubérantes du globe.

[…] Si j’étais en

Gaule pure

, j’aurais peut-être

été voir mon illustre confrère et récipiendaire

[le maréchal PÉTAIN], pour lui exposer le plus

brièvement et naïvement possible ce que

songe et rumine, depuis près de 50 ans, une

“personnalité sans mandat”. Mais je me dis

qu’il vaut mieux qu’il en soit ainsi. J’aurais

figuré là-bas un importun de plus. Et puis,

je me demande si l’atmosphère de la station

thermale [Vichy], avec toute la fermentation

de décomposition que je devine, ne m’eût

pas été plus décourageante que celle de cette

plage captive, avec ses sacs de sable sur les

balustrades des villas»… (lettre citée par Michel

Jarrety,

Paul Valéry

, Fayard 2008, p. 1075).

7 juin 1945

. De son P.C., le général d’armée

écrit: « Mon cher Maître et Ami, Votre luci-

dité sans défaut définit les raisons de notre

Victoire, votre amitié m’en attribue tout le

mérite. Mais la même volonté de vaincre, la

même ténacité, la même ferveur, ont animé

chacun de nous, et je revendique pour la

Première Armée Française toute entière les

éloges que vous prodiguez à son Chef. À

notre tour aujourd’hui, en ce début d’une paix

si chèrement acquise, de nous tourner vers

vous. C’est pour votre œuvre aussi que nous

avons combattu, pour que, dans un monde

libre puissent à nouveau briller quelques

grandes pensées et le pur éclat de la vôtre.

Que bientôt votre voix s’élève, notre effort y

trouvera une noble récompense»…