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nerres, et des gouttes sont entrées, tac tac

sur le plancher. Et puis le phonographe de

Madame de Salles, qui criait des chansons

épouvantables. Alors je me suis caché der-

rière ton âne, et j’ai vu le Pape de Claude et

sa Jeanne d’Arc qui avaient peur aussi. Ils

sont montés sur le bateau et puis sur la grue

électrique»…

[1911]

, racontant un séjour à la

mer: « Si tu voyais les choses de la plage,

les vagues, le sable, les pelles, les filets, et

toutes les petites bêtes qu’on trouve, les

coquillettes, les tout petits poissons, les tout

petits crabes qui courent et les herbes de la

mer […] Quand on se baigne, on va se dés-

habiller dans une petite maison de bois et

puis on descend vers l’eau. On voit des mes-

sieurs et des dames qui sont très drôles. Il

y a des messieurs très gros qui ont des

jambes comme des marronniers et des bras

comme des jambons. Ils sont noués à la

taille par des beaux rubans rouges, et quand

ils entrent dans la mer, ils font grand bruit et

grande écume. Les dames mettent de petits

bonnets en caoutchouc où elles enferment

tous leurs cheveux. Il y en a qui crient en

entrant dans l’eau, et alors les gros messieurs

les attrapent et les trempent comme des

mouillettes dans un œuf»…

[21 juillet 1912]

.

« Mon vieux petit Croûton, Je voudrais bien

te voir avec Solange dans les bocages du

Mesnil. Mais une grosse mouche toute poilue

qui est venue par ma fenêtre m’a dit, en

faisant ron-ron, que parfois on se giffle avec

la petite amie. Cela est moins gentil, quoique

parfois nécessaire. Je t’embrasse bien et je

te pince très fort. Embrasse pour moi Tour-

de-Langue et Mal-Assis, et puis aussi Solan-

gine. Ton père De Claques». Une autre (1913),

dactylographiée, et signée « Ibichisupipi»,

donne à Agathe des nouvelles de son ours

Badou.

[Été 1916]

, nouvelles de la famille,

notamment des frères Claude et François

(né le 17 juillet): « Ici on a bien chaud. Badou

grille et sent le rôti. Nonne [Mme Valéry mère]

a chaud. Moune [Jeannie Valéry] a chaud,

et chaud j’ai. Quant à Petit Rousseau, il dort

généralement. Mais depuis ses 15 jours c’est

une grande personne qui commence à

regarder son Père. Son Père lui a donné déjà

au moins mille noms, et quelques secs, durs,

verts. Puis il a eu ses notes de quinzaine. 9

sur 10 de tétise (tétise des commençants bien

entendu; il ne pourrait pas composer avec

Claude, soyez donc raisonnable, madame).

Il a eu un 3 d’intelligence, un 5 de risette. Il

a été dernier en

bain

la première fois, et

premier la seconde fois. Il n’a rien dit dans

l’eau et y semblait heureux. Il fait ses traduc-

tions de lolo en crocrotte, assez bellement.

Il n’aura pas le Tableau d’Horreur»…

[12 avril

1918]

: « Je te remercie de tes lettres et de tes

peinturlures. Le paysage n’est pas encore

ton fort. D’ailleurs, c’est un art secondaire.

La figure, la composition avant tout, et le style

avant la nature, voilà l’Évangile. La couleur

est un agrément du diable»…

[Été 1918]

, récit

du voyage avec Édouard Lebey pour le châ-

teau de l’Isle-Manière près d’Avranches;

description de sa chambre dite du « petit

pêcheur»; dessin commenté de son majes-

tueux pot de chambre… – Inquiétudes sur la

fin de la guerre: « Je ne vois pas quand fini-

ront ces convulsions ni comment. Personne

n’en sait rien. Dieu a donné sa langue aux

chats et le diable, nouveau riche, n’est pas

pressé d’en finir. On dit que Clémenceau va

se marier avec Jeanne d’Arc. Mais ils

attendent que les draps de lit et les serviettes

soient moins chers. On dit que Napoléon a

fait une scène à Haig. On dit aussi que Judas

est élu président du Soviet, à l’unanimité.

Mais tout cela, ce sont des bruits et des

rumeurs. Ce qu’il y a de certain c’est que le

Pape vient de s’engager dans la Légion étran-

gère. Les enfants de Marie lui font un masque

tout doré contre les gaz»…

Vendredi [1918]

. Il

lit Calderon, qui vaut Shakespeare… « Il est

vrai que pour toi tous ces inconnus sont

égaux. Je t’engage à travailler. Tu n’es pas

sans en avoir besoin. N’attends pas que le

besoin se fasse sentir. Tu fais des fautes qui

commencent à être assez ridicules. […] Renon-

çons à ces petites ordures grammaticales.

[…] Soyez chics, très bien, mais de toutes

parts. Il y en a qui ont les pieds propres et

les idées vaseuses. Je préfère l’inverse»…

[1919 ?]

« Sais-tu que j’ai refusé de dîner ce

soir dans l’intimité avec la reine de Rou-

manie ! Je refuse de dîner avec des

Majestés ! La délicieuse et intelligentissime

Princesse Stouzo m’a écrit hier soir pour ce

dîner “intime !” au Ritz. Mais j’attends 2

raseurs ce soir, et de plus je n’ai pas de

boutons royaux de plastron»… Suit une lettre

fantaisiste au cher Boucarou: « Il y avait une

fois une mouche sur le bout de mon nez. Et

elle chantait une petite chanson toute petite,

avec des petites paroles et un petit air. Alors

littérature