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SAINT-EXUPÉRY Antoine de (1900-1944).

MANUSCRIT autographe (brouillon) avec 3 DESSINS, [Sur la

télévision, vers 1939]; 5 pages in-4 ornées de 3 croquis à l’encre.

Intéressant manuscrit sur l’avenir de la télévision

. [C’est à partir

du début de 1937 que les premières émissions de télévision furent

diffusées tous les soirs, de 20 h à 20 h 30. La France ne compte alors

qu’une centaine de postes privés. Les programmes se composent

de variétés, d’interviews, d’actualités cinématographiques, de courts

métrages et de documentaires.] Il est remarquable de voir Antoine

de Saint-Exupéry s’intéresser à ce nouveau média, pressentir son

développement futur et réfléchir avec une prescience étonnante à la

question de son financement.

D’emblée, l’écrivain pointe le cœur du problème : « Le progrès de

la télévision est freiné par le problème du financement des émis-

sions. La publicité, qui suffit en effet à couvrir les frais des émissions

radiophoniques ne peut financer que des programmes de télévision

relativement modestes ». Dans ces conditions, plusieurs solutions se

présentent, comme instaurer une redevance sur la vente des postes de

réception. Mais, « outre qu’il est impossible de contraindre un fabricant

de postes de réception à se soumettre à cet impôt, il demeure que de

telles recettes, d’une part seraient rapidement taries, et que d’autre

part le partage de ces recettes entre les diverses sortes d’émissions

présenterait des difficultés inextricables puisqu’il devrait se faire en

proportion de leurs frais ». Il imagine alors le moyen de remédier à ce

problème : « La solution idéale exigerait que les usagers paient une

redevance afférente à chaque émission ». Et il détaille les avantages

de cette solution : « L’usager paie une taxe proportionnée à la durée

de la réception et variant selon le programme choisi »; il imagine les

modalités de son application : « La réception d’un programme donné

est impossible si la taxe n’est pas versée. […] Il est certain que si de

telles conditions peuvent être réalisées les ressources apportées aux

émissions seront sans limites car un programme tel que la première

d’un grand film, un grand match », par le nombre de spectateurs qu’il

attirera permettra de financer d’autres programmes…

Le manuscrit est orné de

trois dessins

à l’encre. Le premier représente

le visage de ce petit personnage aux yeux ronds, aux sourcils arqués,

qui préfigure le Petit Prince; les deux autres montrent ce même person-

nage en pied, les bras le long du corps, vêtu d’une sorte de kimono.

3 000 - 3 500 €

TB

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SAINT-EXUPÉRY Antoine de.

L.A. (brouillon), [1941-1942], à Denis de ROUGEMONT; 4 pages

et demie in-4 avec de nombreuses ratures et corrections

Longue et passionnante discussion sur les origines du Nazisme

,

témoignant d’un vif débat avec Denis de Rougemont que Saint-Exupéry

avait rencontré durant son exil à New York (1941-1943). L’écrivain et

philosophe suisse avait étudié le nazisme dans son

Journal d’Alle-

magne

(1938).

« Je réponds parce que je vous estime et je ne me vexe pas de votre

lettre parce que je ne me vexe jamais de rien. Si quelque personne

m’est désagréable, je lui tourne le dos avec simplicité. La terre est

grande. Comme la vôtre ne m’est pas désagréable je n’ai pas envie

de vous tourner le dos. Mais je ne comprends pas à quelle opération

elle répond. S’il s’agit de couper entre nous toute relation, il est plus

simple de ne plus me voir. Il y a des tas de gens que je ne vois pas

tout simplement. Et, à moins qu’ils ne viennent eux-mêmes me les

demander, je ne leur donne jamais mes raisons [...] D’abord que je vous

aime bien et regrette fort de vous avoir été désagréable. Je n’aime pas

peiner qui j’aime bien [...] Je me sais dans un état de vive irritabilité

due à des ennuis matériels proprement insurmontables, qui m’ont fait

me coucher après dix jours sans sommeil, contre un travail idiot. Je ne

supporte pas le manque de sommeil. Je suis naturellement agressif à

la discussion, ayant mauvais caractère, mais je suis tout à fait d’accord

sur le fait que j’ai été trop loin dans mes élans [...] Ça c’est pour la

forme »… Puis Saint-Exupéry en vient au fond de leur désaccord : « En

ce qui concerne le fond la seule phrase qui ait pu vous blesser est la

suivante “vous allez nous raconter votre voyage en Allemagne”. J’ai

regretté vivement la forme qui était en effet hargneuse. Je n’ai regretté

en rien le fond. Quand j’ai en effet parlé du nazisme et de l’étonnement

ahuri d’une jeunesse forcée à sacrifier sa vie pour un combat si peu

satisfaisant, j’ai dit quelque chose qui signifiait “il est trop facile de

donner les causes du succès dans le simple attrait du mal. On meurt

par générosité’. Or la jeunesse crevait étouffée dans la poussière des

valeurs de 1929. Toute mon expérience de la vie et des hommes me

l’a enseigné. Je connais la Russie, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne.

J’ai discuté des nuits entières avec les communistes, les anarchistes

catalans, les fascistes et les nazistes. Tout ce qui était jeune, sain et

pur ou rangé s’était rallié à des mouvements extrêmes pour des rai-

sons affectives et spirituelles rigoureusement identiques »… Il pourrait

retourner les analyses de Garcia Torrès, Albert, Thomas, Sieburg ou

Tartempion : « La part de critique d’un monde méprisable était identique.

Et les jeunes qui ne connaissaient que leur appétit spirituel étranglé

par le marécage 1925, leur besoin d’air pur, se rangeaient sous l’un

ou l’autre de ces drapeaux selon la qualité des agents de recrutement

et le hasard de leurs rencontres »... Mais Rougemont n’a pas voulu

accepter ces explications : « Là-dessus cher ami vous m’avez répondu

qq chose qui signifiait exactement […] “Taisez-vous. Le nazisme ça

me regarde. Vous n’y connaissez absolument rien. Lorsque j’étais en

Allemagne... » Chaque fois que Saint-Ex abordait l’origine du nazisme,

Rougemont lui coupait la parole en lui disant : “C’est moi le spécialiste.

J’ai vécu en Allemagne”. Vous ne l’avez jamais fait méchamment. Je

ne vous en ai jamais voulu mais ça ç’a toujours été ainsi. Cette fois-là,

une fois de plus, ça m’a agacé »… Etc.

2 500 - 3 000 €

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Livres & Manuscrits

20 février 2020