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littérature
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SARTRE JEAN-PAUL (1905-1980)
Manuscrit autographe signée sur la guerre d’Algérie
Vers 1960, 9 pages in-4 sur feuillets quadrillés séparés,
avec ratures et corrections
2 000 / 2 500 €
La crise algérienne donne l’occasion à Sartre de reprendre le cours de
l’histoire de la chute de la IVème République à l’arrivée du président
de Gaulle. Un mouvement insurrectionnel menaçant le processus
d’indépendance de l’Algérie, Sartre demande aux gaullistes et socia-
listes de dépasser leur clivage pour manifester, dans un mouvement
fraternel, contre le fascisme. « Celui qui disait non ; celui qui disait
oui : Ortiz offre une chance de les mettre d’accord. Chance provi-
soire : qui croirait, aujourd’hui, aux fraternités éternelles ? Mais c’est
la chance de la France […] Il faut pourtant le rompre, ce silence : c’est
lui qui nous perdra. ».
Sartre remémore la crise du 13 mai 1958 qui amena De Gaulle au
pouvoir : « Rappelez-vous : il a perdu, déjà la défunte quatrième ?
C’était au mois de mai. Il suffisait d’un mot et personne n’a rien dit ;
il suffisait d’un geste et personne n’a rien fait. Nous sommes tous
coupables, les non comme les oui, ceux qui ont raté leurs grèves […].
Les pieds-noirs attendent beaucoup de la France dans cette crise
d’indépendance : « Ce 14 mai les Européens d’Alger n’en menaient pas
large. Ils nous lorgnaient : que feront-ils ? Et puis, devant ce mutisme
qui plonge l’Europe dans la stupeur […] [ils] se mirent en devoir de
nous choisir un régime. Nous l’avons depuis deux ans… [de Gaulle
devient le 1
er
président de la V
e
République le 21 décembre 1958] ».
« Vous les oui, vous avez donné vos votes à un général prestigieux
parce que vous respectiez en lui l’armée qui ne le respectait guère
et qui ne vous respectait pas. [Sartre fait allusion au putsch d’Alger
en 1958 par un groupe de généraux nationalistes] ». Il dénonce la
méthode par laquelle de Gaulle a pris le pouvoir : « Je tiens avec
les autres non qu’un plébiscite est un acte de dictature parce qu’il
donne à choisir entre la guerre civile et le fait accompli. Mais vous,
vous êtes sûrs d’avoir voté librement. En votre âme et conscience ?
Et nous, la gauche, par impuissance, bien sûr, mais aussi par respect
pour vos suffrages, qui donnaient à la Vème [république] une légiti-
mité boiteuse, nous n’avons combattu le régime que dans le cadre
de la loi. ». La crise algérienne est là, grandissante, il enfonce le clou
désignant comme responsable les français qui ont avoué de Gaulle :
« Quoi qu’il en soit c’est votre régime, De Gaulle est votre homme, il
fait votre politique : car vous avez tous approuvé, c’est sûr, ses ten-
tatives incertaines mais sincères pour régler le problème algérien. ».
Sartre demande à ceux qui ont voté pour de Gaulle de réagir face
au mouvement fasciste à Alger : « Qu’allez-vous faire pour qu’ils
ne se perdent pas ? » Ortiz prend Alger d’assaut, avec la tolérance
des pouvoirs locaux, on insulte le chef que vous avez plébiscité ?
[…] Est-il possible qu’ils soient déjà fanés, ces oui rutilants qui n’ont
pas dix-huit mois ? […] Voyez-vous à présent que la Cinquième s’est
elle aussi déconsidérée ? Si vous reniez votre choix, ce sera pour
laisser le champ libre, cette fois, au fascisme né d’une guerre qu’il
veut perpétuer, au régime le plus sanglant et le plus ruineux ? », il
donne la méthode : « Si vous devez leur répondre, ce sont les rues
de France qu’il faut prendre ». Sartre fait appelle aussi à son camp,
ceux qui ont voté « non » et les invite à rejoindre les « oui » dans la
rue : « Quant à nous, les non, il faut que nous nous joignions à vous.
Certains parmi nous serons tentés de dire : je ne me bats pas pour
de Gaulle. Mais ils n’en feront rien car ils ont vu ce qu’il coûte de ne
pas se battre pour Guy Mollet. Nous ne manifesterons pas pour de
Gaulle mais, au sein de cette légalité bâtarde, contre Lagaillarde et
Ortiz, contre les furieux qui veulent tout saccager.
Important manuscrit d’une grande lucidité.