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les collections aristophil
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GOUNOD CHARLES (1818-1893).
L.A.S., Londres 4 octobre 1870, à son
parent Henri ; 1 page et demie in-8.
300 / 400 €
Exil en Angleterre pendant la guerre
.
Ils sont très inquiets de ne pas avoir de leur
nouvelles depuis qu’il a appris « l’affreux
malheur » qui a frappé Henri : « Nous trou-
vons le temps bien long, et l’absence donne
à nos cœurs des exigences et des besoins
que tu comprendras ». Ils ont appris par les
journaux qu’Évreux a failli être assailli, et il
demande avec anxiété des nouvelles de tous :
« Vous avez plus à nous dire que nous autres
qui sommes à la diète de tout ce qui nous
est cher. […] Anna [sa femme] et grand-mère
vont assez bien ; elles sont près de moi, tirant
l’aiguille de leur mieux dans nos quelques
loques. Tous, nous vous embrassons bien
tendrement et pensons incessamment à
vous. […]. Que pensez-vous faire dans l’avenir
en cas d’impossibilité de rester ? » Il signe :
« Ton frère et ami Ch. Gd ».
À la suite, sa belle-mère Hortense ZIMMER-
MANN a ajouté 16 lignes pour ses « chers
enfans » : « chaque jour nous souffrons d’au-
tant de cette séparation qu’aucun espoir
(puisque chaque jour les événements le
déçoivent davantage) n’autorise notre retour
dans notre malheureux pays »…
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GOUNOD CHARLES (1818-1893).
L.A.S., Tavistock House [Londres]
11 mars 1872, [à Jules BARBIER] ;
12 pages in-4 (quelques légères
rousseurs).
1 000 / 1 500 €
Magnifique et longue lettre à son ami et
librettiste Jules Barbier, protestant contre
les conditions de la reprise à Londres de
son opéra
Roméo et Juliette
, proposées
par l’administrateur du Royal Italian Opera,
Frederick Gye
.
Gounod expose d’abord longuement que
sa position sur le refus de signer le contrat
proposé est définitive, et regrette qu’un dis-
sentiment soit survenu entre eux, alors qu’il a
souvent fait passer les intérêts d’autrui devant
ses propres droits... « Je te rappellerai, en
premier lieu, le sort de
Faust
à Londres.
Souviens-toi que nous avons donné là une
Californie dont l’or a été pour les autres, et
le cuivre pour nous. Notre ignorance de nos
droits, de notre valeur, de notre pouvoir,
nous y a perdus
alors
, et Dieu sait ce que
j’en ai souffert ! Je ne veux plus que cela
recommence […] En nous demandant le droit
exclusif
, Mr GYE
sait qu’il le revendra
au
double, au quintuple, au décuple,
ET
AU
CEN
-
TUPLE
DANS
LE
DÉTAIL
DES
EXÉCUTIONS
DRAMATIQUES
OU DES MOINDRES CONCERTS
: quelques
sous
sont
ce qu’il nous offre pour l’achat de ce gain
énorme.
Ton livret seul
, vendu dans la salle,
lui couvre, par chaque soir en moyenne, ce
que lui voudrait nous payer. [...] Mr Gye doit
être
dans nos mains
au moins autant que
nous dans les siennes : les 8 années qu’on
nous offre sont des années de
servitude
».
Quant au risque d’un insuccès, «
toute œuvre
au monde peut être un insuccès : ç’a été
même, généralement, le début des chefs-
d’œuvre ». Mais Londres est « en fait d’ini-
tiative artistique, la capitale de la prudence
et de la timidité : Londres est un mouton de
Panurge ; Londres ne se décide qu’à coup
sûr ». Gounod rappelle que
Faust
a été joué
à Darmstadt, Hambourg, Hanovre, Vienne,
Munich, Berlin avant Londres : «
Faust
n’est
entré à Londres qu’avec le
passeport de l’évi-
dence, visé par la confiance du Continent
»,
et tout le monde à Londres y a trouvé son
compte, sauf les auteurs. Gounod rappelle :
« (1°)
Roméo
A
ÉTÉ
un succès à Paris, succès
d’art et d’argent (99 représentations sans
interruption) [...] (2°)
Roméo
EST
un succès
considérable et persistant à
Vienne
où,
depuis trois ans, on le joue incessamment
devant des salles combles. (3°)
Roméo vient
d’
être un succès ÉNORME à St-Pétersbourg,
un
triomphe
[...] 5°
Roméo
sera
un succès
partout où il sera soigneusement monté et
bien exécuté, au lieu d’être
saccagé
,
mas-
sacré
,
assassiné
, comme il l’a été à Londres il
y a 4 ans par la négligence, ou la faiblesse »...
Au sujet du choix des interprètes, alors que
Gye aurait engagé pour chanter Juliette Ade-
lina Patti ou Mme Carvalho, Gounod réagit
vigoureusement à l’accusation de Barbier
de vouloir être le seul maître : « Dès que
j’ai appris par toi que Mr Gye redemandait
Roméo
, j’ai considéré comme parfaitement
probable
et
souhaitable
une distribution dans
laquelle entreraient Mme Patti et Mr Nicolini
qui viennent d’y recueillir un magnifique
succès [...] Quant à
croire
qu’on ait pu me
suggérer
ou que j’ai pu
admettre
l’idée de
t’acheter le livret d’un de nos opéras
pour en
devenir le seul et souverain maître
, j’avoue
que je ne te reconnais pas dans cette injure
[...] Je n’ai jamais dit qu’il était fâcheux que
la coutume eût fait une part égale de droits
au poëme et à la musique d’un opéra ; j’ai
plusieurs fois soutenu la thèse opposée, et
j’ai le droit d’exiger que [...] tu sois persuadé
que je fais une part plus
respectueuse
et
plus
juste
à ceux qui, comme toi, me font
l’honneur et l’avantage de travailler avec
moi »... Gounod résume les seules bases sur
lesquelles il accepte de traiter avec Gye : 1°
Nous ne stipulerons avec Mr Gye que pour
une année à la fois. 2° Nous garderons le
droit de traiter avec un autre théâtre si une
belle exécution et des termes acceptables
nous y sont offerts. 3° Que Mr Gye nous
assurera une somme de
cinquante livres
par
représentation, attendu que, de lui, je n’en
accepterai, pour ma part personnelle,
pas
moins de vingt cinq
»… Il est prêt à discuter
avec Gye. Quant à Georgina WELDON, il n’a
jamais songé à elle pour chanter Juliette,
mais il désire qu’elle puisse créer le rôle
de Pauline dans
Polyeucte
: « Elle le
sait
:
elle le chante, à mon avis, avec une
grande
perfection
[…] mon désir est que ce soit elle
qui le crée »…