Catalogue de vente du 20 avril 2016
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Kapandji Morhange
A l’aube de la Révolution française, alors que les philosophes des
Lumières ont préparé les esprits à la refondation de la société civile,
la France de Louis XIV connaît de la Chine deux aspects principaux
qui illustrent les idées en conflit. Une première image est impériale et
autocratique ; la seconde est toute empreinte de la sagesse de Confucius
que Voltaire fut l’un des premiers à promouvoir. Aussi, le portrait de
Confucius qui ouvre la suite des 24 gravures d’Helman, associé à un
quatrain de Voltaire composé pour le
Dictionnaire philosophique
en
1770, gravé au-dessous, n’est pas le fait du hasard. Il s’agit là d’une
forte prise de position politico-philosophique, qui fit scandale à son
époque :
«
De la seule raison salutaire interprète
Sans éblouir le monde, éclairant les esprits
Il ne parla qu’en sage et jamais en prophète
Cependant on le crut et même en son pays
».
Les exemplaires coloriés sur papier de Hollande sont rarissimes
:
nous n’en trouvons aucun passé en vente à Paris ces 15 dernières
années.
Pour les
Faits mémorables
, on trouve sur la page de titre une liste des
différentes qualités de papiers proposés par l’éditeur : papier ordinaire,
papier vélin, grand papier (d’Auvergne) et, le plus somptueux : «
peint
à l’aquarelle sur papier d’Hollande
». Pour le
Confucius
, le meilleur
papier annoncé n’est que celui d’Auvergne. C’est ce qui confère son
caractère exceptionnel à cet exemplaire entièrement imprimé sur un
beau papier vergé provenant de la fabrique hollandaise de J. Kool.
Exemplaire d’exception, revêtu d’une élégante reliure de l’époque
en maroquin rouge finement orné, attribuable à Bradel l’aîné.
Alexis-Pierre Bradel, dit Bradel l’aîné, successeur de son oncle Derôme
le jeune et également appelé Bradel-Derôme, fut actif à Paris dès
1772 (Thoinan,
Les relieurs français
, Paris, 1893, p. 220). Reliure non
signée, mais qui présente des similitudes de facture, de fers employés
et de composition avec des reliures qui lui sont indubitablement
attribuées (cf. S. de Ricci,
French signed binding in the Mortimer L.
Schiff collection
, II, New York, 1935, sur un
Télémaque
de 1790,
n° 140 et sur 2 ouvrages de médecine de 1787, n° 142 ; voir aussi R.
Devauchelle,
La reliure, recherches historiques…
Paris, 1995).
Une signature moderne soignée figure dans la marge de la planche I, et
dans celles du texte face aux pl. V et XXIV : «
Jean Drut
».
(
Inventaire du Fonds Français, Graveurs du XVIII
e
siècle,
T. XI, n° 83-
106 ; Cordier,
Bibliotheca sinica
, 667 ; Cohen 479 ; Voir aussi : P. Torres,
Les batailles de l’empereur de Chine
, Paris, 2009, notamment pour le
chapitre «
Confucius et les Lumières, sur une estampe d’Helman
»).
Voir les reproductions ci-contre et pages 60-61.
10000 / 15000 €
132.
[Chine]. HELMAN (Isidore-Stanislas).
Abrégé historique des
principaux traits de la vie de Confucius, célèbre philosophe chinois.
A
Paris, chez l’auteur et M. Ponce, [1787]. Grand in-4, entièrement gravé,
[1] f. (titre), 24 planches, chacune accompagnée d’un feuillet de texte,
reliure de l’époque maroquin rouge, dos lisse, titre doré, roulettes, filets,
fleurons, le tout doré, plats décorés d’un double encadrement (à l’extérieur
composé d’un double filet et d’une ligne de petits fers floraux et étoiles en
alternance, à l’intérieur d’un filet dont les angles sont constitués de deux
petits fers formant un demi-cercle, les côtés ornés en leur centre d’un fer
en étoile bordé d’une double ligne avec spirale), roulette aux coupes, den-
telle intérieure, le tout doré, gardes de soie moirée azur, tranches dorées,
l’ensemble monté sur onglets (taches noires au plat inférieur, défauts négli-
geables dont un petit trou de ver sur un mors, étiquette en tête du dos).
Le
Confucius
d’Helman n’a rien d’une banale suite décorative :
c’est l’une des plus élégantes et subtiles machines de guerre en
faveur de l’esprit des Lumières, à l’aube de la Révolution.
Rarissime exemplaire sur papier de Hollande et aquarellé à
l’époque.
Fort du succès des premières livraisons de sa célèbre
Suite réduite
des conquêtes et batailles de la Chine
, dont la publication s’échelonna
de 1783 à 1788, le graveur Isidore-Stanislas Helman (1743-1806 ou
1809) prit l’initiative de réaliser deux nouvelles suites dans un goût
similaire. Ce furent les
Faits mémorables des empereurs de la Chine
, et
cet
Abrégé historique des principaux traits de la vie de Confucius,
pour
lequel il s’inspira des travaux du missionnaire jésuite Amiot.
Non
daté, cet ouvrage fut annoncé au
Journal de Paris
le 7 octobre 1786,
et il fut très vraisemblablement livré au public dès le début de l’année
suivante. En effet, l’orientaliste français Joseph de Guignes (1721-
1800) lui a consacré un compte rendu détaillé, assorti d’une critique
élogieuse, dans le
Journal des sçavans
de janvier 1787 (p. 72-74) : «
très
bien gravées
[…]
ces planches sur lesquelles on a conservé tout le
costume et le goût des Chinois, forment une collection intéressante
propre à piquer la curiosité soit par la délicatesse du burin, soit
par la variété des sujets
».
Outre ses qualités de graveur très appréciées de son temps – il fut l’un
des meilleurs élèves de Le Bas – Helman se distingua par sa maîtrise
de la « stratégie éditoriale ». Il a tout lieu de souligner «
son intelligence
dans le choix des sujets susceptibles de plaire, son sens commercial, la
facilité avec laquelle il s’adapta au cours des évènements d’une époque
troublée pour en retirer profit
» (I.F.F., X, p. 268).
Le
Confucius
d’Helman n’a rien d’un ouvrage innocent : c’est une
brillante proclamation en faveur des idées des Lumières.
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