Binoche & Giquello / Sotheby's - BIBLIOTHÈQUE R. ET B. L. - page 74

47. CÉLINE (Louis-Ferdinand). Lettre autographe signée
Louis-Fd. Destouches
, à Théophile Briant.
Datée
Copenhague le 30 mai 1947
, 4 pages sur 2 feuillets grand in-4, écrites recto-verso à l’encre
bleue,
c/o K. Mikkelsen, 45
A
Bredgade, Copenhague
, avec enveloppe timbrée, sous chemise
demi-maroquin noir moderne.
3 000 / 4 000
B
ELLE LETTRE D
'
EXIL
,
INÉDITE
.
Le destinataire de cette longue lettre est Théophile Briant, journaliste et écrivain breton, directeur de la revue
Le Goéland,
ancien ami de Céline. Détenu depuis plus d'un an, celui-ci lui écrit de sa prison de Copenhague,
pour lui raconter tous les événements survenus dans sa vie depuis son départ pour l'exil en 1944.
Céline peut enfin lui écrire :
mon courrier est absolument libre.
Il en profite donc pour raconter longuement
son odyssée et ses misères, puis dire son sentiment - sévère - sur la France.
Nous sommes en lambeaux mon
vieux après un supplice qui dure depuis trois ans… Ma pauvre Lucette a dû me défendre contre le monde
entier, toute seule dans ce pays devenu lande à cauchemar…
Leur situation est désastreuse :
Tout s'est tourné contre nous, le monde entier, et les amis et amies. Ruinés,
pelés, brûlés, bombardés, incarcérés, outragés sans cesse, menacés, leurrés, nous n'avons plus rien et plus
grand'chose de goût de vivre. Sans patrie, sans toit, sans lit, bientôt sans culotte, des chiens lépreux sur les
routes des prisons d'Europe…
Et tout d’un coup cette phrase qui nous glace :
Je ne sais pas quel crime j’ai
commis (je ne m’en reconnais aucun) mais j’ai payé pour tout un bagne et ma pauvre Lucette aussi. Ceux de
Buchenwald avaient le monde entier avec eux et nous l’avons tout entier contre nous…
Après avoir évoqué
Milton Hindus, un professeur de Chicago
qui va l'aider [et qui écrira plus tard un livre de
souvenirs sur Céline], il revient à son sort :
J'ai fait sept mois d'hôpital… maigri de 48 kilos ! et même une
maladie qu'on n'avait pas vue au Danemark depuis 3 siècles : la pellagre.
Mais c'est surtout la France qui l'obsède :
De France je ne reçois qu'outrages, insultes et crachats et de
l'ambassadeur ici (qui a servi Vichy toute la guerre)… La chasse à l'écrivain est certainement le sport national
de la France… Je veux vivre au passé. Car au présent je suis le seul écrivain français je dis écrivain pas
journaliste qui me sois tapé de la cellule et pas un petit peu… On a tué Denoël
[son éditeur, assassiné]
tu le
sais. Les Français disait Voltaire : race légère et dure. Hélas c'est exact. Dure. Sans merci, sans cœur…
Après
avoir demandé des nouvelles de son correspondant, il s'excuse :
J'ai peine à tenir ma plume, de rhumatisme.
J'ai cette écriture infâme…
Suit ce post-scriptum griffonné rageusement:
Pendant que je crève Montherlant qui a mille fois plus collaboré
que moi
[se]
pavane à Paris.
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