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A la date où il compose ce poème, en septembre 1887, la santé de Verlaine est au plus bas, il écrit très peu. Alors qu’il est

hospitalisé à Tenon, Verlaine apprend la rumeur de la mort de Rimbaud en Afrique. Sous le choc de cette nouvelle, il

compose ce très long poème (25 strophes, soit 100 vers) dans lequel, tout en refusant de croire à la mort de son amant, il

revit intensément leur amour passé. La nouvelle de la mort de Rimbaud, bientôt démentie (il ne mourra que quatre ans plus

tard, en 1891), aura tout de même provoqué ce témoignage direct de leur relation, toujours très vive dans le cœur de

Verlaine, quinze ans après leur séparation.

La longueur du poème, la forme de ce manuscrit, avec ses nombreuses corrections, ses variantes, ses ratures, montrent l’intense

émotion de Verlaine à l’évocation, dans sa détresse, de l’aventure qu’il a vécue avec Rimbaud. Ainsi s’ouvre le poème :

Les courses furent intrépides

(Comme aujourd’hui le repos pèse !)

Par les steamers et les rapides.

(Que me veut cet at home obèse ?)

Nous allions — Vous en souvient-il,

Voyageur où ça disparu ? —

Filant légers dans l’air subtil,

Deux spectres joyeux, on eût cru.

Dans ces vers qui rappellent le « Colloque sentimental » des

Fêtes Galantes

, Verlaine célèbre leurs années de vie

commune, quand ils étaient « gais et vagabonds », selon le titre en latin du poème, variante du « Moesta et errabunda »

des

Fleurs du mal

. Avec audace et transparence, il évoque le scandale de cette errance avec son compagnon d’enfer, comme

en témoignent ces deux très belles strophes, dont la première comporte de nombreuses variantes :

Scandaleux sans savoir pourquoi

(Peut-être que c’était trop beau),

Chacun de nous deux restait coi

Ainsi qu’un <Comme tel> bon porte-drapeau,

Coi dans l’orgueil d’être plus libres

Que les plus libres de ce monde,

Sourd aux gros mots de tous calibres,

Inaccessible au rire immonde.

Verlaine, puissamment hanté, se refuse à croire — avec raison — à la mort de Rimbaud :

Je n’y veux rien croire, mort, vous,

Toi, dieu parmi les demi-dieux !

Ceux qui le disent sont des fous.

Mort, mon grand péché radieux

D’abord publié dans

La Cravache

du 29 septembre 1888, le poème est repris l’année suivante dans

Parallèlement

, avec quelques

variantes. La dernière strophe est ici précédée d’une version abandonnée avec de nombreux repentirs et reprises de vers :

Vous mort ! Vous vivez ma vie !

Mort morte le miraculeux poème

... philosophie

Et ma patrie et ma bohème

Morts ! Mais non, tu vis ma vie !

I

MPRESSIONNANT MANuSCRIT INCONNu DES SPÉCIALISTES

, en dehors de sa mention dans un catalogue de vente : le seul

manuscrit connu est une copie de 1889 par une amie de Verlaine.

Disposées sur deux colonnes, les strophes sont numérotées de 1 à 25 par le poète. Les corrections et ratures sont

nombreuses, avec des ajouts dans les marges ou en note, certains vers réécrits plusieurs fois.

un an et demi après la mort de Rimbaud, le 10 novembre 1891, Verlaine rédigera un autre poème, véritable tombeau de

son ami, qui s’ouvre ainsi : « Toi mort, mort, mort !... » (« AArthur Rimbaud », dans

Dédicaces

, Pléiade, p. 601).

De la collection G.-E. Lang (II

e

partie, 30 janvier 1926, n° 1395).

Œuvres poétiques complètes

, éd. Y.-G. Le Dantec et J. Borel, Pléiade, 1965, p. 522-525 ;

Amour

suivi de

Parallèlement

,

éd. O. Bivort, Le Livre de Poche, 2017, p. 422-429.

Trace d’onglet au verso.