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210. NERVAL (Gérard de). [A

uRÉLIA

]. Manuscrit autographe, [1855], 1 page et demie in-8 (207 x 127 mm), sur

2 feuillets, avec corrections, ratures et ajouts, sous chemise demi-maroquin noir moderne.

20 000 / 30 000 €

E

XTRAORDINAIRE ET TRAGIquE RELIquE DES DERNIERS MOMENTS DE

N

ERVAL

,

RARES FRAGMENT

D

’A

URÉLIA

.

Fragment d’

Aurélia

, retrouvé, selon ulbach, sur le cadavre du poète, pendu, rue de la Vieille-Lanterne, à l’aube du

26 janvier 1855, et se terminant par ses mots :

« Qu’arriverait-il si je mourais ainsi tout d’un coup ? ».

Récit de non pas une, mais trois descentes aux enfers successives,

Aurélia

est la tentative, à la fois lucide et angoissée, de

saisir la folie. Pendant ses deux derniers séjours à la clinique du docteur Blanche à Passy, en 1853 et 1854, Nerval écrit ce

texte, dont la totalité ne nous est pas parvenue. Il voyait dans le rêve une valeur thérapeutique, et un instrument

d’exploration de l’inconnu et de la vie elle-même. C’est parce qu’il tenta de franchir

ces portes d’ivoire ou de corne qui

nous séparent du monde invisible

que les surréalistes en firent leur précurseur.

C’est ici un passage du chapitre IV de la seconde partie d’

Aurélia

, constitué de souvenirs et de réflexions, baignant dans

une lumière hallucinatoire. Il évoque d’abord son ami Georges — certainement Georges Bell, rencontré au retour de son

voyage en Orient :

Il m’emmenait dans diverses contrées des environs de Paris et consentait à parler seul, tandis que je

ne répondais qu’avec quelques phrases décousues.

L’onirisme se mêle à l’autobiographie, par exemple dans le récit de cet

épisode :

Un jour nous dînions sous une treille dans un petit village des environs de Paris. Une femme vint chanter près de

notre table et je ne sais quoi, dans sa voix usée mais sympathique, me rappela celle d’Aurélia, je la regardai, ses traits même

n’étaient pas sans ressemblance avec ceux que j’avais aimés. On la renvoya et je n’osai la retenir mais je me disais : qui

sait si son esprit n’est pas dans cette femme et je me sentis heureux de l’aumône que j’avais faite

. Nerval imagine le spectre

d’Aurélia, elle-même le double de l’actrice et cantatrice Jenny Colon, décédée en 1842, dont il était tombé amoureux en

1837 lors de la création de

Piquillo

, où elle tenait le premier rôle. Lui qui écrivait sur le pouvoir magique de l’écriture qui

permettait à Victor Hugo de ressusciter les morts dans Notre-Dame de Paris, pensait-il pouvoir faire revivre Jenny Colon

d’une quelconque manière ?

Dans le labyrinthe des rêves et des spectres, Nerval est assailli par les contrariétés, parmi lesquelles une culpabilité qui

le hante :

Je me dis : j’ai bien mal usé de la vie, mais si les morts pardonnent c’est sans doute à condition que l’on

s’abstiendra à jamais du mal et qu’on réparera tout celui qu’on a fait.

Il termine par cette méditation tragique :

La mort

d’un de mes amis

[l’écrivain Charles Reynaud ?]

vint compléter ces motifs de découragement. Je revis avec douleur son

logis, ses tableaux qu’il m’avait montrés avec joie un mois auparavant, je passai près de son cercueil au moment où on

l’y clouait. Comme il était de mon âge et de mon temps je me dis : « Qu’arriverait-il si je mourais ainsi tout d’un coup ? ».

En portant sur lui ce manuscrit avec ces dernières lignes, Nerval fit l’ultime tentative de retrouver l’autre monde du rêve,

l’écriture fragmentaire d’

Aurélia

demeurant impuissante à conjurer le vertige identitaire du poète inconsolé.

La pièce porte, à la suite du texte, cette authentification autographe de Louis ulbach, ami et biographe de Nerval, qui fut

son exécuteur testamentaire :

(autographe de Gérard de Nerval. Ses dernières lignes — papiers trouvés sur lui après sa

mort.) L.U.

De la collection du D

r

Jacques Lacan.

A figuré aux expositions sur

Gérard de Nerval

à la Bibliothèque nationale (1955, n° 307) et à la Mairie de Paris (1996,

n° 496).

Œuvres complètes

, éd. J. Guillaume et Cl. Pichois, Pléiade, t. III, 1993, p. 731-732 ; manuscrit répertorié p. 1332 (

PA

IX).

— J. Richer,

Les Manuscrits d’

Aurélia

de Gérard de Nerval

, Les Belles lettres, 1972.

Diverses taches légères. Trace d’onglet réunissant les deux feuillets.

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