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LAMARTINE (Alphonse de).

Lettre adressée au baron Gérard.

Marseille, 8 juillet 1832.

Lettre autographe signée “Al de Lamartine” ; 4 pages in-4.

Le prix du fameux portrait du poète par le baron Gérard.

Exécuté en 1830-1831 et exposé au Salon de 1831, ce célèbre portrait de Lamartine est

désormais conservé au château de Versailles.

Sur le point de s’embarquer à Marseille pour son voyage en Orient, Lamartine s’adresse au baron

Gérard : le peintre lui avait adressé une lettre alambiquée, que le poète interpréta comme une

réclamation du paiement du portrait.

Très gêné, Lamartine a demandé par écrit à son ami M. de Cazalès d’aller trouver le baron

Gérard pour lui demander une explication. Mais, sans nouvelles de Cazalès (“

Je vois par les

journaux qu’il est peut-être en prison

”) et pressé par le temps, il s’adresse à lui directement, non

sans réticence : “

Je prends donc à regret le parti de traiter directement avec vous un sujet qui m’est

d’autant plus pénible qu’il est pour moi plus imprévu.

Un fâcheux quiproquo.

Ou je n’ai pas compris le sens de votre lettre, ou elle avait pour objet de me demander le

payement du beau portrait que vous avez fait de moi, et cette demande serait déjà un reproche

de la lenteur que j’aurais mise à vous offrir ce payement moi-même. Or monsieur le baron

lorsque vous eûtes la bonté de me proposer de consacrer quelques séances à immortaliser des

traits si peu dignes de votre pinceau il fut bien loin de ma pensée que ces séances eussent

un autre prix pour moi que ma reconnaissance ; je crus que j’étais fondé à croire par cette

proposition même venant de vous et non de moi, que c’était une de ces hautes politesses de

grand artiste à un autre artiste par laquelle tous les deux s’ honorent ; j’avais été honoré des

mêmes prévenances par MM David Devéria et autres hommes éminents dans la sculpture et

la peinture et jamais il ne m’était venu dans l’esprit de leur offrir un prix matériel de leur

marbre ou de leur palette. Si le soupçon même d’un prix était entré dans ma pensée lorsque vous

voulûtes bien m’offrir de faire mon portrait je vous aurais parlé d’avance avec pleine franchise

car ce que j’ai entendu dire de la somme payée et bien employée pour un portrait de Mr Gérard

est tellement au-dessus des possibilités d’une fortune de poëte que mon désir eût cédé à mon

impossibilité et de plus Monsieur le baron en supposant que mes médiocres ressources eussent pu

se lever jusqu’ à l’acquisition d’un tableau de vous ! Certes ce ne serait pas ma figure que je vous

aurais commandé mais bien la plus légère de vos immortelles compositions.

Vous verrez j’espère Mr le baron dans tout ce qui précède les motifs qui m’ont empêché de vous

offrir aucun payement du portrait, ce sont en effet les motifs mêmes qui m’eussent empêché de

poser devant vous si j’avais pu présumer qu’il s’agissait de payer un travail inapréciable

[sic]

pour la postérité, et trop au-dessus du prix que j’aurais pu moi-même vous en offrir.

J’ajouterai que ma souscription de 1500 à la gravure n’a été de ma part qu’une manière

indirecte de vous témoigner par un effort au-dessus de mes convenances tout le prix que

j’attachais à votre œuvre. Sans cette pensée je n’aurais pas souscrit pour plus de quelques Louis.

Dans tous les cas Monsieur le baron, si je me suis trompé sur le sens de votre lettre excusez mon

erreur ; si votre intention a été de demander le payement du portrait faites entrer je vous prie

dans votre apréciation

[sic]

l’erreur plus … et plus excusable encore dans laquelle j’ai été de

bien bonne foi et sans laquelle j’aurais retiré le portrait aussitôt qu’il fut terminé.

[…]”

En post-scriptum, il engage son correspondant à lui écrire à l’ambassade de France à

Constantinople.

(La “souscription pour la gravure”, à laquelle fait allusion Lamartine, renvoie sans doute à la

lithographie exécutée vers 1832 par Julien d’après le tableau de Gérard.)