à tuer, avec mon égoïsme bien connu c'est par moi que je commencerai. Eugène
[Mac Cown]
, c'est la
vengeance qui me fut envoyée par tous ceux à qui j'ai fait du mal. C'est pourquoi je l'aime...
[non datée, 1926].
Eugène
[Mac Cown]
et avec lui pas mal de ces diables d'Américains ont une innocence. Nous on a la
force - toi surtout, mais comme on a la conscience - hélas - aussi, ça explose. Alors on trépigne, on hurle,
on crie
(...).
Maintenant on nous donne des livres inodores. As-tu lu Mont-Cinère genre (pas si bien) de
Wuthering Heights d'Emily Brontë...
[non datée, non signée, 1926].
Je relis Rousseau. Quels mensonges que les Confessions. Je n'aime pas ce masturbé. Le Juif de Turin, le
curé de Lyon, la Warens, tous ceux qu'il a excités qu'ont-ils trouvé dans ce fourbe aux mains moites. Et je
gage que l'histoire des 5 enfants abandonnés c'est du mensonge. Rousseau c'est un bronze de Barbedienne.
Il s'appelle Jean-Jacques comme les femmes qui mettent de la lingerie exagérément blanche pour se faire
croire innocentes. Pouah ! J'ai les 2 poumons endommagés. Il y a un trou - une caverne disent les poétiques
médecins...
[non datée, été 1927, du Parksanatorium de Davos Platz, en Suisse].
Jouhandeau répond, le plus souvent, avec les accents de l’ascète qu’il affecte de devenir – la
tendresse en plus :
René, je pense à toi. Le 'mot' que tu m'as adressé tout de suite m'a caressé au bon moment. On a peur tout
d'un coup. Je suis arrivé ici comme un fantôme. La santé, qu'est-ce que c'est ? Je ne dors pas, mais je travaille
et je peux rester seul des jours entiers. La nuit je me lève à trois heures pour faire de l'orgue. C'est comme si je
me jetais à la mer. Ça bourdonne. On nage. On n'entend plus rien. On voit du bleu, de l'or, toi, d'autres. Ton
ami Marcel.
(...)
Parle-moi de toi. Un ange me dit que tu ne m'aimes plus comme autrefois. Si c'est vrai, dis-le moi.
Crache-moi au visage, si je le mérite
[non datée, 1929].
L’une des dernières lettres de l’ensemble, adressée par Crevel à Élise en 1933, est poignante :
... Le docteur est content de moi. Mais je reste toujours au lit. J'ai joué ma dernière carte en venant ici. Il
faut que je gagne la santé. Sinon, rien ne vaut plus la peine. Si je guéris, il me semble que je renaîtrai pour
une autre vie. J'ignore laquelle. J'ignore avec qui
(...)
Je rêve d'un grand et beau livre. Je ne sais par quel
bout le prendre et puis je commence à devenir exigeant avec moi-même et je ne veux rien faire plutôt que
faire médiocre
(...).
C'est comme si j'étais en gestation. La maladie c'est le ventre d'une mère pour moi...
Plusieurs acteurs de la vie littéraire et artistique parisienne traversent cette correspondance
fiévreuse : Nancy Cunard, Marie Laurencin, Paul Klee, André Gide, Philippe Soupault, Natalie
Barney, Romaine Brooks... Le personnage évoqué sous le prénom d'
Eugène
, omniprésent, est le
peintre américain Eugene Mac Cown, grande passion de René Crevel (il est représenté sous les
traits de Bruggle dans
La Mort difficile
). Les quelques lettres adressées à
Carya
dès 1926, une quinzaine
en tout, témoignent de l'affection de Crevel pour la future Élise Jouhandeau, que l'auteur des
Pincengrain
épousa en 1929 à l'âge de 40 ans. Crevel et Cocteau furent les témoins de Marcel.
Une note manuscrite (de Marcel Jouhandeau ?) jointe à cet ensemble précise : “À partir de 1930,
les lettres de Crevel ne sont plus adressées à Marcel, mais à Marcel et Élise. Ce qui explique
l'interruption de la correspondance.” En effet, ce dossier ne comporte aucune lettre de 1931 et 1932,
et seulement trois lettres de 1933, dont deux adressées au couple Jouhandeau et une à la seule
Carya
.