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Remarquable envoi autographe :

à Lucienne P.

pour le prêt de ses mains

dont le profil me reste.

Sept. 1915.

L'écriture, de la main gauche, est encore très maladroite : l'envoi est placé sous la signature de

Cendrars, inscrite de la main droite pour justification à la parution du livre.

Blessé au front le 28 septembre 1915, Blaise Cendrars fut transporté à l'hôpital Sainte Croix

de Châlons-sur-Marne ; il a été amputé de l'avant-bras droit le 1

er

octobre. Bien des années

plus tard, en 1938, il rendra hommage à l'infirmière qui le soigna, dans un bouleversant récit

autobiographique intitulé

J'ai saigné

(1938). Dans ce texte, l'infirmière-major qui lui permit de

surmonter l'épreuve est nommée “Adrienne P”. Il s'agit, à l'évidence, de la “Lucienne P.” à qui

l'écrivain offrit cet exemplaire de

La Prose

. S'est-il trompé de prénom ou l'a-t-il modifié pour

rédiger

J'ai saigné

, cette dénonciation de l'absurdité de la guerre, des horreurs du conflit mais aussi

de la brutalité des gradés ?

Quant à la mention de “septembre 1915”, elle ne date évidemment pas l'envoi, mais rappelle la date

à laquelle Cendrars fut recueilli par l'infirmière-major Lucienne P.

L'écriture date des premiers temps de la rééducation, sans doute vers la fin de l'année 1916 :

Cendrars, qui peine à tracer les lettres, ne maîtrise pas encore sa main gauche. Les mois qui suivirent

l'amputation furent des mois de désespoir et de souffrance, mais aussi de délire : dans le dossier

militaire de l'écrivain, se trouve une fiche de l'hôpital Maison Blanche de Neuilly-sur-Marne, où il

séjourna du 6 mars au 16 mai 1916, portant la mention : “folie”.

La perte de sa main droite, qui devait hanter son œuvre, fut un tel traumatisme pour l'écrivain qu'il

en a inscrit la date, comme dans le marbre, pour dire à celle qui, en lui accordant “le prêt de ses

mains”, l'a sauvé du désespoir.

En raison de sa forme même – cette écriture encore hésitante – et de la personnalité

à laquelle il s'adresse, cet envoi est le plus bouleversant qui soit et confère à cet

exemplaire de

La Prose

une force de vie unique.

Le 16 février 1916, le Suisse Frédéric Sauser, caporal du 1

er

régiment de la Légion étrangère,

engagé volontaire, fut décrété de nationalité française par le président de la République.

Superbe exemplaire dont les coloris ont conservé leur éclat originel.

Deux petites réparations à deux pliures et à la chemise en chevreau près du bouton-pression.

En français dans le texte,

Paris, 1990, nº 344.- Castelman,

A Century of Artists Books

, pp. 168-169.- Peyré,

Peinture et poésie,

le dialogue par le livre

, pp. 110-111 : “Le livre réalisé par Cendrars et Sonia Delaunay est un indépassable (…). Poétiquement,

picturalement, un accomplissement,

La Prose du Transsibérien

est dialogue excédant, entrelacs magnifiques et vis-à-vis parfait.”

200 000 / 300 000 €

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