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CENDRARS, Blaise, Frédéric Sauser, dit.
La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France.
Couleurs simultanées de
Mme Delaunay-Terk.
Paris, Éditions des Hommes nouveaux, 1913.
4 feuilles in-4 réunies pour former une longue bande de 2 mètres de long et 360 mm de large,
imprimée au recto seulement ; la planche se replie au format d'un volume in-8 (180 x 100 mm) ;
la reliure souple en parchemin, avec bouton-pression, a été réalisée et décorée au pochoir par
Sonia Delaunay.
Édition originale.
Tirage annoncé à 150 exemplaires : 8 sur parchemin, 28 sur Japon et 114 sur simili Japon.
En raison du coût de fabrication, de la difficulté de montage et de l'insuccès commercial,
seuls environ 70 exemplaires furent effectivement réalisés.
Exemplaire sur simili japon (nº 58), signé par le peintre et l'auteur.
Il est complet de la reliure en chevreau souple décorée d'une composition
de Sonia Delaunay, avec attache par bouton-pression.
L'ouvrage se déplie à la manière d'une carte géographique. Une fois déplié, il mesure 2 mètres :
mis bout à bout, les 150 exemplaires projetés par les éditeurs devaient atteindre la hauteur de
la tour Eiffel.
Magnifique livre-objet, une des plus extraordinaires réalisations de l'avant-garde française
du XX
e
siècle, et l'un des incunables de l'art abstrait.
Le poème “simultané” est disposé sur deux colonnes : celle de droite comporte, sous une petite
carte-itinéraire imprimée, le texte de Blaise Cendrars tiré en quatre couleurs et entouré de
compositions aquarellées en aplat ; celle de gauche présente, sous le titre imprimé en deux tons,
une grande composition abstraite de Sonia Delaunay, exécutée au pochoir par l'artiste.
“Jusqu'à
La Prose du Transsibérien
, Blaise Cendrars était un inconnu. Le retentissement de
Pâques
n'avait pu dépasser le cercle de ses amis, dont Robert et Sonia Delaunay.
Au début de 1913, une première ébauche de
La Prose
fut adressée à celle-ci. Le thème du poème
– un voyage imaginaire de Moscou à Kharbin, comme le film d'une vie – était propre à exciter
l'enthousiasme de Sonia. Le texte achevé en avril-mai, elle et Cendrars envisagèrent leur œuvre
sous la forme d'un long dépliant, dans une “présentation synchrone” associant à une typographie
inventive et colorée l'interprétation abstraite (et expressément non illustrative) de l'artiste”
(Antoine Coron).
Non seulement le livre ne rencontra aucun succès – une poignée de souscripteurs se manifestèrent
– mais les coûts de fabrication décidèrent d'un tirage plus restreint que prévu. Les promoteurs de
La Prose
réservèrent le reste du tirage pour plus tard.
“La guerre vint si vite, remarque encore Antoine Coron, qu'on n'eut jamais l'occasion d'achever
l'impression. Quand
La Prose
apparut comme une date capitale dans l'histoire du livre et de la
peinture moderne, il était trop tard” (
Trésors de la Bibliothèque nationale de France
, II, 2000, nº 67).
Un an avant le suicide de l'Europe,
La Prose
éditée à l'enseigne des Hommes nouveaux constitue un
accomplissement : poème-tableau, il exprime les audaces et les vertiges de la modernité. Et, s'il fut
un échec commercial – trop en avance sur un monde encore en retard –, il n'en demeure pas moins
le chef-d'œuvre de l'avant-garde artistique de l'année 1913, annonçant les révolutions à venir.
Le plus bel hommage vint sans doute de Blaise Cendrars lui-même : “
Madame Delaunay a fait un si beau
livre de couleurs que son poème est plus trempé de lumière que ma vie.
”
“Une
date
capitale
dans
l'histoire
du livre
et de la
peinture
moderne”
Antoine Coron
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