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STRAVINSKY, Igor.

Le Sacre du printemps.

Tableaux de la Russie païenne en deux parties d'Igor Strawinsky

et Nicholas Roerich. Réduction pour piano à quatre mains par l'auteur.

Berlin, Moscou, Leipzig &

New York, Édition Russe de Musique, 1913.

Partition in-folio (330 x 270 mm) : demi-toile grise à la Bradel de l'éditeur, plats imprimés.

Édition originale, d’une grande rareté.

La réduction pour piano à quatre mains fut mise en œuvre par le compositeur lui-même, en

1912, de façon à pouvoir diriger les premières répétitions des danseurs. Il s’agit de la première

publication du

Sacre du printemps

: la partition orchestrale ne sera imprimée qu’en 1921.

Ce

Sacre

à quatre mains fut ainsi exécuté le 20 avril 1912, devant Diaghilev et Pierre Monteux,

dans la salle de répétition du théâtre de Monte-Carlo. Et le 9 juin suivant eut lieu la mémorable

lecture chez le musicologue Louis Laloy. Assis aux côtés de Stravinsky, Debussy consentit à jouer

la basse, s’ingéniant à déchiffrer à vue. Admiratif de l’œuvre, il ne put toutefois se retenir de ciseler

un de ces bons mots dont il avait le secret : “C’est une musique de sauvage avec tout le confort

moderne.”

La démonstration à quatre mains fit l’effet d’une tornade. La plume alerte de Louis Laloy a pu

capter la scène saisissante : “Le regard immobilisé par les lunettes, piquant du nez vers le clavier,

par instant chantonnant une partie élaguée, Stravinsky entraînait dans un débordement sonore

les mains agiles et molles de son compagnon qui suivait sans accroc. Quand ils eurent terminé,

il ne fut plus question d’embrassades, ni même de compliments. Nous étions muets, terrassés

comme après un ouragan venu, du fond des âges, prendre notre vie aux racines.”

La première du

Sacre du printemps

souleva un tollé demeuré dans les annales.

Le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées, eut lieu la première, après des répétitions

houleuses. Debussy et Laloy avaient annoncé “

un ouragan venu du fond des âges

” : leur prédiction

devait être avérée.

Pierre Monteux, le chef d’orchestre, avait suggéré quelques modifications au compositeur

qui les accepta, mais la chorégraphie confiée à Nijinsky demeura inchangée.

Contre le cataclysme sonore, le public de ces premières mondaines, harnaché de perles et

d’aigrettes, se livra à un chahut indescriptible, porté à l’incandescence par l’irruption des agents de

police tenus d’expulser les contestataires les plus violents. “On rit, conspua, siffla, imita

des cris d’oiseaux”, relate Jean Cocteau, voisin de loge de la comtesse de Pourtalès éructant :

“C’est la première fois depuis soixante ans qu’on ose me manquer de respect !” Pour avoir crié

au génie, Ravel ne recueillit qu’un “sale Juif !” en écho.

Le

Sacre du printemps

fut retiré de l'affiche après huit représentations.

Cependant, le scandale en partie causé par la chorégraphie déconcertante de Nijinski ne devait pas

nuire au succès de l’œuvre musicale. Il y contribua même. Lors de sa création en concert l’année

suivante par Pierre Monteux au Casino de Paris (les 5 et 26 avril 1914), le compositeur fut porté à

bout de bras dans la rue par ses admirateurs : ce fut, enfin, le sacre de Stravinsky.

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