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[TOURGUÉNIEV, Ivan.]
Mémoires d'un seigneur russe
ou Tableau de la situation actuelle des nobles et des paysans dans
les provinces russes. Traduit du russe par Ernest Charrière.
Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1854.
In-12 de (2) ff., XII pp., 404 pp., (1) f. : chagrin vert, dos à nerfs joliment orné, plats encadrés d'un
large listel à froid et d'un double jeu de filets dorés, élégant décor doré en arabesques dans les angles,
chiffre couronné doré au centre, coupes filetées or, dentelle intérieure d'encadrement, doublures et
gardes de moire blanche, tranches dorées
(reliure de l'époque).
Édition originale de la traduction française par Ernest Charrière.
Premier ouvrage de Tourguéniev traduit en français. “This edition served as the basis for the first
English edition of 1855, Turgenev’s first appearance in English” (Quaritch,
Russian Books
, nº 1419).
Un recueil de nouvelles devenu brûlot politique par la grâce d'une traduction.
Il s'agit de la première version française des célèbres
Récits d'un chasseur
parus à Moscou en 1852 avec
succès. Son traducteur, Ernest Charrière, non seulement fit de nombreux contresens, mais prit des
libertés avec le texte, ajoutant des passages de son cru et appuyant le côté social du texte, lui donnant
une coloration politique engagée : il entendait souligner, dit-il, “le caractère de témoignage de
l'aristocratie russe sur la situation réelle du pays qu'elle domine”.
Quand Hachette publia la version de Charrière, furieux, Tourguéniev publia une lettre de
protestation, en français, dans le
Journal de Saint-Pétersbourg
d'août 1854 : il jugeait “mauvaise la
traduction de Charrière à la fois parce qu'elle était infidèle et parce qu'elle était dangereuse pour lui.
(…) Tourguéniev était suspect depuis son article nécrologique sur Gogol, paru six mois avant l'édition
en volume des
Récits
. Autorisé à quitter sa propriété de Spasskoïé, puis à se montrer à Moscou et à
Pétersbourg en 1853, Tourguéniev pouvait légitimement craindre un retour de rigueur lorsque les
services [de la censure] liraient la traduction de Charrière” (Michel Cadot). L'ouvrage faisait ainsi
figure de réquisitoire en faveur de l'émancipation. L'affaire fit grand bruit et Nicolas I
er
renvoya le
censeur qui avait autorisé la publication.
Superbe exemplaire relié à l'époque pour la tsarine Maria-Alexandrovna,
épouse d'Alexandre II.
Il faut se figurer ce que la provenance suppose d'audace – et de risque pour l'auteur.
Le 3 mars 1861 cependant, le tsar Alexandre II (il avait accédé au trône en 1855) proclama l'abolition
du servage, malgré les résistances de la noblesse : cette émancipation des moujiks, inaugurant une
manière de printemps russe, souleva l'enthousiasme de Tourguéniev, qui s'exclama : “
Dieu bénisse le Tsar !
”
On a parfois suggéré que les idées progressistes du souverain trouvaient leur origine dans la lecture de
ces
Récits
.
Provenances :
Vanderem
(cat. 1921, n° 1041),
Ripault
(cat. 1924, n° 251, ex-libris) et
Paul Voûte
(cat. 1938, n° 539, ex-libris).
Piqûres sans importance sur les 6 premiers feuillets.
Cadot,
La Russie dans la vie intellectuelle française
, pp. 428-432.- Carteret, II, p. 402, ne cite que cet exemplaire.- Boutchik,
Bibliographie des œuvres littéraires russes traduites en français
, 1935, n° 1428.
20 000 / 30 000 €