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« S

OUVENIRS

VIVANTS

»

SUR

L

UDOVIC

H

ALÉVY

.

C'est par l'intermédiaire de Daniel Halévy que

Marcel Proust l'avait rencontré. Plus tard, il « songea avec nostalgie à ces samedis samedis

d'été, au début des années 1890, passées dans la longue maison de campagne blanche des

Halévy, à Sucy [...] en compagnie de Gregh, de Louis de La Salle, de Jacques Bizet, de Robert

Dreyfus et de Léon Brunschwicg [...] ainsi qu'avec ses charmantes amies, autres modèles de

la "petite bande" [...]. Proust avait eu l'intention, si Dreyfus et Beaunier ne l'avaient devancé,

d'écrire lui-même un article [nécrologique] sur Ludovic Halévy : "Il me semble que j'aurais

parlé de tout cela moins bien que Beaunier, mais avec plus de précision, soutenu tout le temps

par des souvenirs vivants". » (George D. Painter,

Marcel Proust

, t. I, p. 139). Marcel Proust

évoqua dans

Du Côté de chez Swann

l'esprit caractéristique du théâtre de Meilhac et Halévy

cet « esprit alerte, dépouillé de lieux communs et de sentiments convenus, qui descend de

Mérimée ».

« L'

INCOMPARABLE SALON DE

M

ME

S

TRAUS

»

(Marcel Proust, préface à

De David à Degas

de Jacques-

Émile Blanche). Veuve du compositeur Georges Bizet, elle tint en effet un salon littéraire et

artistique couru, et fut courtisée par Boulanger-Cavé, Bourget, Hervieu, Pozzi, Maupassant

(à qui elle inspira en partie l'héroïne de

Notre Cœur

), Meilhac, Porto-Riche ou Reinach, avant

d'épouser l'avocat Émile Straus. Elle hante les présents albums de son cousin Ludovic Halévy

dont elle était très proche, et apparaît en portraits particuliers ou de groupes chez celui-ci à Sucy-

en-Brie, ou chez elle à Paris et à Évian. Quelques

photographies représentent sa villa de Trouville.

Marcel Proust la rencontra vers 1889, invité par son

fils Jacques Bizet : « Très tôt, [il] invite Mme Straus

et son fils au théâtre, envoie des fleurs à celle-ci, lui

adresse des compliments. Toute sa vie, il a feint d'être

amoureux d'elle. À la fois parce qu'elle attendait ce

comportement de tous ses admirateurs ; parce qu'il

aimait en elle tout ce qu'il pouvait aimer chez une

femme, l'esprit, le charme, l'élégance, l'affection,

l'allure maternelle, sans avoir à la désirer » (Jean-

Yves Tadié,

Marcel Proust

, vol. I, p. 150). L'écrivain

en dressa un portrait littéraire dès 1892, et la fit

apparaître dans

Les Plaisirs et les jours

, dans

Pastiches

et mélanges

et surtout dans

Le Côté de Guermantes

où elle lui inspira quelques traits de la duchesse de

Guermantes : « la mélancolie, la lassitude d'exister,

le goût de l'instant, la tendresse excessive et

momentanée [...], la passion du "salon", le mari fier

des mots de son épouse (mais contrairement au duc

et malgré des crises passagères, M. Straus adorait sa

femme) » (Jean-Yves Tadié,

op. cit.

, p. 149). Marcel

Proust évoqua ainsi, dans

Du côté de Guermantes,

« un luxe de paroles charmantes, d'actions gentilles, toute une élégance verbale, alimentée par

une véritable richesse intérieure. Mais comme celle-ci, dans l'oisiveté mondaine, reste sans

emploi, elle s'épanchait parfois, cherchait un dérivatif en une sorte d'effusion fugitive, d'autant

plus anxieuse, et qui aurait pu, de la part de Mme de Guermantes, faire croire à de l'affection.

Elle l'éprouvait d'ailleurs au moment où elle la laissait déborder, car elle trouvait alors, dans la

société de l'ami ou de l'amie avec qui elle se trouvait, une sorte d'ivresse, nullement sensuelle,

analogue à celle que la musique donne à certaines personnes. »

Mme Straus dans son salon

du boulevard Hausmann