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C
APRICIEUSE MAÎTRESSE DU MARQUIS D
'A
LBUFERA
:
Louis d'Albufera entretint avec elle une liaison
passionnée mais ruineuse, Louisa s'avérant dépensière alors que lui ne disposait d'aucune
ressources propres. Bientôt couvert de dettes, il dut à contrecœur obéir à ses parents qui
l'engageaient à s'établir sérieusement : il se fiança donc (juillet 1904) puis se maria (octobre
1904) avec Anna Masséna, riche héritière d'illustre noblesse d'Empire. Il poursuivit néanmoins
secrètement sa relation avec Louisa de Mornand jusque vers 1906, et ne cessa ensuite de lui
verser une pension.
Louisa de Mornand se fit ensuite entretenir par Robert Gangnat, alors agent général de la
Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Comédienne depuis 1903, elle avait
d'abord enchaîné les petits rôles et, grâce à à son nouvel amant, put en obtenir d'un peu plus
intéressants, mais sa carrière s'acheva en 1910 à la mort de Robert Gangnat. Elle fut cependant
encore engagée pour quelques films dans les années 1930 grâce à sa liaison avec un producteur,
sans rencontrer le succès espéré, et finit sa vie dans la gêne, évitant la misère grâce à l'aide
financière apportée par Louis d'Albufera.
Marquée à vif par sa jeunesse brisée, subissant le sort incertain des femmes entretenues, Louisa
de Mornand s'employa constamment à s'assurer une position sociale qu'elle contribuait dans
le même temps à détruire par ses dépenses inconsidérées et ses écarts de conduite (avec des
hommes et des femmes) : en voulant « faire payer » son passé, elle faisait souffrir ses amants
et hypothéquait son avenir. En outre, Louis d'Albufera lui trouvait « la tête dérangée » et, ainsi
que Gaston Gallimard le rapporta plus tard à Marcel Proust, Robert Gangnat considérait aussi
qu'elle avait un « côté de folie ».
Bien que sans illusions sur le comportement et le talent artistique de Louisa de Mornand,
Marcel Proust professa une grande amitié à son égard. Leurs relations se distendirent après
1906, mais l'écrivain resta en relations avec elle jusqu'en 1922. Un an après la parution du
Temps retrouvé
(1927), dernière partie de la
Recherche
, Louisa de Mornand vendit les lettres
que Proust lui avait adressées, et pour rehausser l'intérêt qu'elles pouvaient susciter, publia
un article dans
Candide
, « Mon amitié avec Marcel Proust », dans lequel elle laissait entendre
qu'elle avait été sa maîtresse.
M
ARCEL
P
ROUST
COMPLICE
AMOUREUX
DU
JEUNE
COUPLE
:
« Entre 1903 et 1908, Proust fut le
confident, l'intermédiaire, la boîte à lettres entre les amants, passa des vacances près d'eux, fit
son possible pour favoriser la carrière d'actrice de Louisa, et eut la tâche délicate de ramener
la jeune cocotte à la raison dans les circonstances difficiles, au moment du mariage d'Albufera
notamment, ou lors de ses périodes d'inconduite » (Françoise Leriche, article « Albufera »,
dans
Dictionnaire Marcel Proust
, pp. 52-53). La relation fusionnelle entretenue par Marcel
Proust avec Louis d'Albufera et Louisa de Mornand renvoie à un schéma psychologique que
l'on retrouve à plusieurs reprises dans sa vie : « Marcel aime les couples [...] : outre qu'il peut
cacher ses tendances homosexuelles en s'intéressant à la dame, et que son désir est stimulé
par le désir d'un amour qu'il ne connaît pas lui-même directement [...]. De plus, si Proust
feint d'être amoureux de la femme [...], c'est pour exciter la jalousie de l'homme : non pour
se brouiller avec lui [...], mais parce qu'il a l'espoir fallacieux de susciter son amour pour lui,
Marcel, tant il croit que c'est la jalousie qui fait naître l'amour, et non l'inverse » (Jean-Yves
Tadié,
Marcel Proust
, t. I, p. 701-702)
.