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BEAUX-ARTS
juin, il confie : « Les chevaux, les voitures, les trottoirs, les parcs,
la Tamise, les bateaux de la Tamise, Richmond et Greenwich, les
vaisseaux, tout cela demanderait des volumes de lettres ». Il en
remplit en tout cas ses carnets. La journée du 20 juin, il copie la
frise du Parthénon et note à côté : « Vu
Richard III
le soir ». Il va
presque tous les soirs au spectacle, voit tout
Shakespeare
: Richard
III joué par Kean, « qui est un très grand acteur »,
La Tempête
avec Young,
Othello
à nouveau avec Kean,
Hamlet
. Il découvre
le
Faust
de Goethe, représentation qui lui inspirera ses fameuses
lithographies. Loin d’être isolé, Delacroix a une vie très mondaine.
Outre ses amis artistes anglais et français comme Eugène Isabey
et le paysagiste Enfantin, il fait la connaissance de Sir David Wilkie,
dont il admire les esquisses, se rend chez Thomas Lawrence, où il
s’extasie devant sa collection de dessins anciens et ses « peintures
de lui, ébauches, dessins même, admirables ». Avec Bonington,
il se rend chez Samuel Rush Meyrick, « à faire des croquis de
sa collection d’armes et d’armures. Bonington est un magicien :
personne dans cette école moderne, et peut-être avant lui, n’a
possédé cette légèreté dans l’exécution, qui, particulièrement
dans l’aquarelle, fait de ses ouvrages des espèces de diamants
dont l’œil est flatté et ravi, indépendamment de tout sujet et de
toute imitation. Hier, nous avions vu la galerie des peintures de
Benjamin West (un shilling). Ce soir, comme chaque soir, théâtre
(un shilling). » Le 3 juillet, il regrette déjà le temps passé : « Le temps
file, et je crois bien que je ne parviendrai pas à voir Constable.
L’homme n’est, me dit-on, pas du genre mondain, préférant les
nuages de Hampstead au brouillard londonien. J’aurais aimé le
remercier de l’impression qu’il m’avait produite au moment où
je peignais le Massacre de Scio. Lui et Turner sont de véritables
réformateurs. Ils sont sortis de l’ornière des paysagistes anciens. »
Il prévoit un voyage avec Isabey en Cornouailles, et se rend
en yacht chez un ami de son logeur Mr. Elmore, dans l’Essex,
pendant une semaine au début du mois d’août. Il rencontre enfin
vers cette époque Madame Dalton, une amie du baron Schwitter,
qui deviendra sa maitresse et son élève à Paris. Serait-ce son
effigie sur la page du petit carnet ou celui de sa logeuse dont il
admire les charmes ?
Avant le voyage au Maroc, ce séjour de Delacroix en Angleterre
porte un premier coup de boutoir au carcan néoclassique où
s’enferre l’école française. C’est la brèche par laquelle s’engouffrera
l’impressionnisme. Mais il y a aussi chez Delacroix cette
fascination pour Shakespeare où il trouve une conception de la
destinée humaine dramatique qu’il fait sienne et qu’il traduira en
de nombreux tableaux. Le voyage à Londres de 1825 « orienta
son imagination, cristallisa les forces de son génie » (G. Bazin,
dans
Delacroix et l’Angleterre
, « À l’Atelier du Maître », 1948, p. 4).