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ACADÉMIE FRANÇAISE
que j’ay leus, que de vostre vie que j’ay estudiée. Pour le troisiesme
que j’oubliois, qui vous regarde particulierement, Monseigneur, et
où j’ay parlé du conseil des Princes, de leurs serviteurs et de leurs
Ministres, c’est celuy que je vous envoye, en attendant que je vous
porte le reste. Or vous scavés, Monseigneur, que le genre d’escrire
que je me suis proposé est sans comparaison le plus penible de tous,
et qu’il est fort malaisé d’agir d’une perpetuelle contention d’esprit,
et de fournir une eloquence qui dure. […] Quant aux Philosophes qui
ont escrit de la Politique, leur ratiocination est d’ordinaire si seche,
et si descharnée, qu’il paroist que leur dessein a plutost esté d’ins-
truire que de persuader, et d’ailleurs leur stile est si embarrassé, et
si espineux, qu’il semble qu’ils n’ayent voulu enseigner que ceux qui
sont doctes. […] Mais icy, outre qu’il faut se servir des mots avec plus
de choix, et les placer avec plus de justesse que dans les simples
narrations, qui pour tout l’esclat et tous les enrichissemens de l’ex-
pression, ne veulent que la clarté et la proprieté des termes, J’ay
desiré, Monseigneur, de mettre en usage, et de reduire à l’action les
plus subtiles idées de la Rhetorique, d’eslever ma raison jusqu’à la
plus haute pointe des choses, de chercher dans chasque matiere les
verités moins vulgaires, et moins exposées en veuë, et de les rendre
si familieres, que ceux qui ne les appercevoient pas, les puissent tou-
cher. C’a esté mon intention de joindre le plaisir à l’utilité, de mesler
la delicatesse parmy l’abondance, de ne combattre pas seulement
avec des armes bonnes et fortes, mais encore belles et luisantes, et
de civiliser la doctrine en la despaisant de l’eschole, s’il m’est permis
de parler ainsi, et la delivrant des mains des Pedans, qui sont ses
corrupteurs, et qui jusques à present ont abusé d’elle. Je ne me suis
point garanti des escueils, en m’en destournant, mais j’ai essayé de
couler dessus avecques soupplesse, d’eschapper des lieux difficiles,
et non pas de les fuir, d’aller au devant des interpretes malicieux par
un mot qui destruit la consequence quils pensent avoir tirée, et de
faire voir qui n’est rien de si aigre, ny de si amer, qui ne se tempere
et ne s’adoucisse par les discours. Enfin je me suis quelquefois laissé
emporter à cette raisonnable fureur, que les Rhetoriciens ont bien
connue, mais qui est au dela de leurs regles et de leurs preceptes,
qui pousse l’Orateur à des mouvemens si estranges, qu’ils paroissent
plutost inspirés que naturels […]. Que si mon entreprise m’avoit reussi,
ce que je n’ose, ny ne veux croire, et si javois montré aux Nations
estrangeres qu’en France tout se change en mieux sous vostre conduite,
et que vous nous augmentés l’esprit, comme vous nous avés accreu
le courage, je n’en meriterois pas pour cela la gloire ; mais il faudroit
vous la rapporter toute entiere, puis que c’est vous, Monseigneur,
qui m’aves donné le premier goust du bien, et la passion des belles
choses, et que de cette excellente difference qu’un jour je vous ouis
faire entre le disert et l’eloquent, je conceus le dessein qu’aujourd’huy
je tasche de produire. En tout cas si je ne puis avoir rang parmy les
sçavans et les habiles, on ne me le scauroit refuser parmy les gens
de bien, et les serviteurs affectionnés, et si ma capacité ne vous doit
pas estre en consideration, mon zele merite pour le moins que vous
le rejettiés pas »… Il veut dénoncer « les mauvais françois » et « ceux
qui veulent parler desavantageusement de nos affaires. Il est certain,
Monseigneur, qu’elles ne sçauroient estre plus fleurissantes, ny les
succès des armes du Roy plus glorieux, ny le repos de ses peuples
plus asseuré, ny vostre administration plus judicieuse. […] Je pense
bien qu’ils pechent plutost par infirmité que par malice. Il est pourtant
fascheux de voir les sots de ce temps, tenir le mesme langage que
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BALZAC Jean-Louis GUEZ, sieur de
(1597-1654) littérateur
et épistolier ;
membre fondateur
de l’Académie française,
il en fut le premier donateur pour créer le prix d’éloquence
[AF 1634, 28
e
f].
L.A.S. « Balzac », Balzac 4 août 1630, au cardinal de
RICHELIEU ; 15 pages in-4.
15 000 / 20 000 €
Magnifique et longue lettre à Richelieu, superbement calligraphiée,
où Balzac expose en détail le plan de son ouvrage
Le Prince
(1631)
.
[Cette lettre, qui accompagnait l’hommage d’une copie du troisième
livre du
Prince
consacré particulièrement à Richelieu, « témoigne
de l’art de Balzac d’enrichir ses épîtres de la cadence et des tours
propres au style oratoire » (Hélène Carrère d’Encausse) ; elle a été
publiée dans
Les Œuvres
, 1665, I, lettre
xlix
.]
« Monseigneur
Estant encore arresté icy par quelques affaires, que je ne puis laisser
sans les perdre, je souffre avec beaucoup de douleur une si dure
necessité, et commence à m’estimer banni en ma Patrie puis que je
suis si long temps esloigné de vous. Je ne nie pas que les victorieuses
et triomphantes nouvelles, qui nous vienent à toute heure du lieu où
vous estes, ne me donnent quelque esmotion de joye, et que je ne
sois sensiblement touché du bruit que vostre nom fait de tous costés.
Mais ma satisfaction ne sçauroit estre entiere, d’apprendre dans les
relations d’autruy les choses dont je devrois rendre tesmoignage, et je
m’imagine tant de plaisir a vous considerer en vostre gloire, qu’il n’est
point de soldat delà les Monts sous vostre commandement, de qui
je n’envie la bonne fortune. Je ne laisse pas pourtant, Monseigneur,
ne pouvant vous servir du corps et de l’action, de vous adorer jour
et nuit de la pensée, et d’employer à un si digne culte la plus noble
partie de moy mesme. Vous estes le perpetuel objet de mon esprit.
Je ne le destourne quasi jamais de dessus les merveilles de vostre
vie, et si vous avés des Courtisans plus assidus que moy, et qui
vous rendent leurs devoirs avec plus d’ostentation et de monstre, je
suis certain que vous n’avés point de serviteur plus fidele, ny dont
l’affection viene plus du cœur, et soit plus vive et plus naturelle ».
Le cardinal verra dans sa lettre la preuve « qu’un homme persuadé
a une grande disposition a persuader les autres, et que l’Eloquence
animee de l’amour, et appuyée sur la verité remue bien les espris
avec plus de force, et y acquiert bien plus de creance, que celle qui
se mesle seulement de feindre et de declamer »...
Balzac détaille alors le plan de son ouvrage. « Dans le premier Livre il
est traité au long de la vertu et des victoires du Roy, de la justice de
ses armes, de la Royauté, et de la Tyrannie, des Usurpateurs et des
Princes legitimes, de la Rebellion chastiée, et de la Liberté maintenue.
[…] Apres avoir consideré le Roy avec soin, et monstré sa grandeur
par elle-mesme, je la fais voir par la comparaison d’autruy. […] Tout
le second livre est employé à ces divers jugemens, et n’en veut qu’à
de grands et illustres criminels, dont il descouvre les fautes secrettes,
avec une liberté corrigée d’une telle discretion, qu’elle ne viole point
le respect qui est deu à la qualité qu’ils ont portée. Le quatriesme
contiendra les principaux preceptes de la science civile, plusieurs
considerations touchant l’Estat et la Religion, et les plus necessaires
regles pour bien gouverner, que je n’ay pas tant prises des livres
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