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les collections aristophil

828

VOLTAIRE

(1694-1778) [AF 1746, 33

e

 f].

L.A.S. « V », Ferney 26 octobre [1761, au cardinal de

BERNIS] ;

4 pages in-4.

6 000 / 8 000 €

Belle lettre au cardinal de Bernis, en lui envoyant l’Épître sur

l’Agriculture, et parlant de sa tragédie

Olympie

.

« Tenez monseigneur, lisez et labourez. Mais les cardinaux ne sont

pas comme les consuls romains, ils ne tiennent point la charüe. Si

votre Eminence est à Montelimar, vous y verrez M

r

le duc de VIL-

LARS qui n’est pas plus agriculteur que vous. Il n’a pas seulement vu

mon semoir. Mais en recompense il a vu une tragédie que jay faitte

en six jours. La rage s’empara de moy un dimanche et ne me quitta

que le samedy suivant. J’allai toujours rimant toujours barbouillant.

Le sujet me portait à pleines voiles. Je voguais comme le bateau

des deux chevaliers danois conduit par la vieille. Je scais bien que

l’ouvrage des six jours trouve des contradicteurs dans ce siecle

pervers, et que mon démon trouvera aussi des sifleurs. Mais en

vérité deux cent cinquante mauvais vers par jour, esce trop, quand

on est possedé ? Cette piece est toutte faitte pour vous, ce n’est pas

que vous soyez possedé aussi. Car vous ne faittes plus de vers ; ce

n’est pas non plus de votre goust, que jentends parler. Vous en avez

autant que d’esprit et de graces ; nous le savons bien. Je veux dire

que la piece est toutte faitte pour un cardinal. La scene est dans une

église. Il y a une confession générale, une absolusion, une rechutte,

une relligieuse, un évêque. Vous allez croire que jay encor le diable

au corps en vous écrivant tout cela. Point du tout, je suis dans

mon bon sens. Figurez vous que ce sont les misteres de la grande

deesse. La veuve et la fille d’Alexandre retirées dans le temple. Tout

ce que lancienne relligion a de plus auguste, tout ce que les plus

grands malheurs ont de touchant, les grands crimes de funeste, les

passions de déchirant, et la peinture de la vie humaine de plus vray.

Demandez plustot à votre confrere M. le duc de Villars. Je prendrai

donc la liberté de vous envoyer ma petite drolerie quand je l’auray

fait copier. Vous etes honnete homme, vous n’en prendrez point de

copie. Vous me la renverrés fidelement. Mais ce n’est pas assez detre

honnete homme. C’est à vos lumieres à vos bontez à vos critiques

que jay recours. Que le cardinal me bénisse, et que l’academicien

m’éclaire. Je vous en conjure ».

Puis il évoque l’exil du cardinal à Vic-sur-Aisne : « Pourquoy rapetasser

Vic ? Ce Vic est-il un si beau lieu ? Ce qui me désespere, c’est quil

est trop eloigné de mes deserts charmants. Soyez malade je vous en

prie. […] Vous n’en serez pas mécontent. Le chemin est frayé ; ducs,

princes, pretres, femmes dévotes, tout vient au temple d’Epidaure.

Venez y ; je mourrai de joye. Les Délices sont à la porte du docteur

[TRONCHIN]. Elles sont à vous, et mériteront leur nom »...

Correspondance

(Pléiade), t. VI, p. 640.

L’Académie française au fil des lettres

, p. 128-133.

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