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les collections aristophil
Violente attaque contre Victor HUGO et la
nouvelle série de
La Légende des siècles
.
[Cet article parut dans
Le
Sémaphore de
Marseille
du 21 mars 1877. Le manuscrit
présente quelques ratures et corrections.]
Zola veut rétablir la vérité : « la deuxième
série de la
Légende des Siècles
, malgré ce
qu’affirment les réclames, est de beaucoup
inférieure à la première série », et elle n’a
pas tant de succès qu’on le dit : « le livre
a été très peu acheté. C’est un insuccès
absolu en librairie », qui coûte trop cher ; et
c’est « d’une lecture parfaitement ennuyeuse
[…] On admire Victor Hugo, mais on le lit
peu, en dehors du monde littéraire. Plus il a
grandi, et plus il est devenu apocalyptique ;
aujourd’hui, il est illisible pour les femmes et
les simples bourgeois »… Zola s’interroge sur
le déisme de V. Hugo : « quel est ce Dieu,
d’où vient notre âme, où va-t-elle, pourquoi
s’est-elle incarnée ? C’est ce qu’il se contente
d’expliquer d’une façon poétique ; il bâtit les
dogmes les plus étranges, il se perd dans
des interprétations stupéfiantes. En lui, tout
reste sentiment ; il fait de la politique de
sentiment, de la philosophie de sentiment,
de la science de sentiment. Comme disent
ses disciples, il tend vers les hauteurs […] ;
il serait certainement préférable, à notre
époque, de tendre vers la vérité. Dénouer
toutes les questions par la bonté, n’avance
pas à grand’chose. De même, quand il a
foudroyé les prêtres et les rois, en exaltant
une fraternité idéale des peuples, cela
n’empêchera pas les peuples de se dévorer
dans la suite des siècles »…
Hugo est un poète lyrique, non un « homme
universel », comme le voudraient ses
disciples ; c’est « un des remueurs de mots
et de rhythmes les plus merveilleux que
nous ayons eus », mais celui qui étudierait
son œuvre depuis les
Odes et Ballades
reconnaîtrait que, telle une fleur qui
s’épanouit, puis se fane, « Hugo en est à
cette dernière période. […] il a accompli son
évolution, d’après certaines lois fatales. Oui, il
devait arriver, par la nature elle-même de son
tempérament, à cette attitude de prophète
qu’il a prise ; il devait être de plus en plus
l’esclave de la rhétorique qu’il s’était faite ;
il devait multiplier les chevilles et ajouter
souvent deux ou trois vers pour le seul plaisir
de justifier une rime riche ; il devait patauger
de plus en plus dans le sublime, exagérer son
effarement et son vertige de visionnaire […] ;
il devait dompter la langue, au point de la
traiter en conquérant, qui n’a plus le respect
des phrases et qui les torture à sa fantaisie »…
Aujourd’hui, Victor Hugo « pontifie » ; il est
devenu d’autant plus solennel que ses vers
sont devenus plus vides. « Je l’ai appelé
un visionnaire. Ce mot le juge. Il a traversé
notre époque sans la voir, les yeux fixés sur
ses rêves »…
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ZOLA Émile (1840-1902).
Manuscrit autographe,
Notes parisiennes
, Paris 19 mars [1877] ; 5 pages et
demie in-8 sur 6 feuillets de papier bleu fin, montées sur onglets et reliées en un
vol. cartonnage parcheminé vert (le 2
e
feuillet a été découpé pour l’impression
et recollé ; légères salissures et annotations typographiques, report d’encre
d’épreuves au verso de 2 ff).
5 000 / 7 000 €