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littérature
737
VERLAINE PAUL
(1844-1896)
Ah ! d’être heureux puisqu’on le
peut …,
poème autographe signé
[Paris], Hôpital Broussais, 12 juillet
1893. 2 pages à l’encre brune sur
un feuillet double vergé crème.
Bords légèrement effrangés, petites
fentes aux pliures. Numérotation
autographe des deux pages (1 et 2), et
numérotation d’une autre main à la
mine de plomb 66 et 67.
2 000 / 3 000 €
Manuscrit autographe corrigé, et seul
connu, d’un très beau poème des
Dédi-
caces
,
écrit pour sa maîtresse, Philomène
Boudin.
Ce poème de 30 alexandrins sans titre porte
la dédicace « à Ph… » et fait partie des 72
pièces ajoutées dans la 2
e
édition des
Dédi-
caces
, parue en 1894, quatre ans après l’ori-
ginale. Il porte ici le chiffre III correspondant
au troisième des poèmes composé pour
Philomène à l’hôpital Broussais en juillet 1893.
Dans le volume, il portera le numéro XCIII
et la dédicace « À la même », avec la date
de « 12 juillet 1893 » visiblement erronée, ce
que confirme le présent manuscrit bien daté
«
H
l
Broussais, 12 juillet 1893
». Verlaine ne
sera pas du reste à Broussais l’été suivant,
s’installant à l’hôtel de Lisbonne dès sa sortie
de Saint-Louis le 10 juillet 1894.
L’état de santé vacillant de Verlaine, syphi-
litique et diabétique, nécessita diverses
hospitalisations dès les années 1880, qui
devinrent de plus en plus fréquentes dans
les dix dernières années de sa vie. Le 14 juin
1893, Verlaine retournait à Broussais pour
soigner un érysipèle infectieux, et y restera
pendant plus de 4 mois. Comme de coutume
en de semblables occasions, il est soutenu
par la douce Philomène, une prostituée qu’il
avait rencontrée avant 1890, et qui devint
sa maîtresse, bientôt en concurrence avec
Eugénie Krantz. Délaissé par Eugénie durant
son séjour à Broussais de juillet 1893, il reçoit
donc les visites assidues de Philomène, qu’il
songea même à épouser cette année-là.
Ce manuscrit de travail, rédigé au fil de la
plume, raturé, comporte 6 corrections et
variantes avec le texte imprimé :
Au 14
e
vers, l’alexandrin sera rétabli par l’ajour
de « Aussi » : «
Parfois – et puis nous dor-
mirons, chair lasse
».
Une correction au 19
e
vers, «
pas
» biffé et
corrigé en «
plus
» («
Plus de désir
»), retenue
dans la version imprimée.
Au 21
e
vers : « célèbre » biffé et corrigé en
«
superbe
».
Variante au 25
e
vers : «
depuis nos durs
passages
» deviendra «
pendant nos durs
passages
».
Au 28
e
vers, Verlaine a corrigé le pluriel fautif
en biffant les « s » finaux de «
leurs nids
»,
s’agissant d’un seul nid commun.
«
à Ph …
III
Ah, d’être heureux puisqu’on le peut, puisque
la vie
Tumultueuse nous a tué toute envie
Autre que d’être calme en un lieu calme
enfin !
Nous boirons quand nous aurons soif. Quant
à la faim
Des repas frugaux mais nourris sauront
l’éteindre
[…]
Nous rentrerons vannés, fauchés, l’or embar-
rasse
Parfois – et puis nous dormirons, chair lasse
Après, hein ? si tu veux des manières à nous.
Et je commencerai la fête à tes genoux
Puis sur ton cœur et nous dormirons sans
grand rêve.
L’hiver nous irons au théâtre.
Je n’en crève Plus
Pas
de désir, mais toi tu
raffoles de ça
Et nous verrons de beaux décors qu’un tel
brossa,
Et nous applaudirons tel calembour
célèbre
superbe
[…]
Puis nous irons coucher, mieux encor que
sur l’herbe,
Dans le grand lit de châtaignier qu’aura
vu tant
De fois moi dans le paradis sage et prudent
Qu’est devenu le tien
depuis
nos durs pas-
sages
D’ailleurs c’est là, restons toujours prudents
et sages
Quelqu’un nous bénira qui déjà nous bénit
Aimons-nous en époux apaisés dans leur
s
nid
s
.
La tendresse n’y perdra rien, tout au contraire
- Rien d’exquis d’être aux yeux des gens
sœur et frère !
»
Bibliographie :
Œuvres poétiques complètes, Pléiade, p. 623.