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les collections aristophil

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GONCOURT EDMOND (1822-1896)

ET JULES (1830-1870) DE

Germinie Lacerteux,

manuscrit autographe signé

S.l., février 1887, 135 pages in-4 à l’encre noire sur 16+6

feuillets de papier vélin. 388 mots ou passages biffés,

corrigés ou ajoutés. Plein maroquin aubergine, titre frappé

à l’or sur le plat supérieur, dos à 5 nerfs, roulette intérieure,

coupes filetées (Pierson). Boîte moderne.

15 000 / 20 000 €

Pièce en dix tableaux. Précieux manuscrit autographe d’une pièce

emblématique du théâtre naturaliste, qui suscita le scandale à sa créa-

tion.

Germinie Lacerteux

est le chef-d’œuvre des frères Goncourt. Le

roman, écrit par Jules et Edmond et publié en 1864, raconte l’histoire

d’une fille de province montée à Paris et établie comme domestique.

Pour conserver sa place, elle doit rester célibataire et reporte d’abord

ses élans maternels sur une nièce, puis sur le fils de l’épicière, Jupillon.

Mais celui-ci grandit, devient un homme, et Germinie s’abandonne

à une passion dévorante, qui va l’entraîner dans la déchéance. Par

amour, elle s’endette et, lorsque Jupillon la quitte, sombre dans la

boisson. Elle mourra misérable à l’hôpital. La noirceur de l’intrigue,

la description d’un réalisme atroce des misères du peuple parisien,

le refus de toute idéalisation, font de Germinie Lacerteux le premier

des romans naturalistes. Les deux frères accuseront d’ailleurs plus

tard Zola d’avoir plagié leur ouvrage dans

L’Assommoir

, qui présente

il est vrai de nombreuses similitudes.

L’idée d’adapter l’œuvre à la scène aurait été suggérée à Edmond de

Goncourt par le comédien, metteur en scène et directeur de théâtre

Paul Porel (1843-1917). Elle fut créée le 19 décembre à l’Odéon avec

Réjane dans le rôle-titre. Dès avant la représentation, un parfum de

scandale entourait l’œuvre. Les journaux annonçaient que la comé-

dienne prononcerait le mot de « putain » ; des députés louèrent une

avant-scène dans le but de protester. La première donna lieu à de

multiples incidents et autres insultes lancées de la salle. Sadi-Carnot,

président de la République, interdit la prolongation de l’œuvre après

quarante représentations. Le jeune Marcel Proust, qui assista au

spectacle, écrivit bien des années plus tard : « Au théâtre, sa Ger-

minie Lacerteux est, après L’Arlésienne, la pièce où sanglota le plus

mon enfance. Pour quelle part y était Réjane, je n’en sais rien, mais

je sortis les yeux si rouges que des spectateurs s’approchèrent de

moi, croyant qu’on m’avait battu. » C’est ce qui incita Edmond de

Goncourt à écrire une pétition à la chambre des députés réclamant

l’abolition de la censure littéraire, qu’il plaça en guise de seconde

préface à l’édition de la pièce et dont le manuscrit figure ici.

« Messieurs les représentants, la censure dont je vous donne les petits

arrêts de mort, est une censure littéraire, une censure comme il peut

seulement s’en rencontrer dans les temps et les pays autocratiques,

une censure qui au milieu du labeur de cette fin de siècle vers la

reproduction de la vérité, de la réalité dans tous les arts, cherche à

assassiner les tentatives nouvelles par l’imposition du mot noble et

de la tragédie dans la peinture du monde moderne.»

Ce manuscrit, destiné à l’impression, est le seul qui existe. Il était

conservé par Edmond de Goncourt, qui l’a fait établir par Person, son

relieur attitré et collé son ex-libris gravé au verso du feuillet de garde.