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les collections aristophil
557
FLAUBERT GUSTAVE (1821-1880)
Lettre autographe adressée
à sa maîtresse Louise COLET
[Croisset], Dimanche soir [« 4 octobre 1846 »
de la main de Louise Colet], 4 pages in-4 à l’encre
12 000 / 15 000 €
Belle et curieuse lettre amoureuse à Louise Colet, des débuts de
leur liaison. Il envoie à Louise Colet la lettre pour son ancienne maî-
tresse Eulalie Foucaud (la voluptueuse séductrice du jeune Flaubert
à Marseille en 1840).
« Je voudrais être là, à Paris près de toi et effacer par un baiser
chaque pli triste qui viendrait sur ton front en la lisant. Car j’ai peur
que tu ne t’en chagrines encore. J’ai obéi au mouvement d’écrire à
cette femme. Ai-je bien fait de le suivre je n’en sais rien. [...] J’y ai
cédé voilà tout. Si tu ne me blâmes pas j’aurai eu raison ; si tu me
reproches cela j’aurai eu tort. Tu me diras franchement, amour, l’effet
qu’elle t’a produit. J’ai écrit ça tout à l’heure assez vite. En la relisant
je viens de m’apercevoir qu’elle avait une tournure assez dégagée et
que l’ensemble était d’un chic assez ferme. Cette créature-là n’avait
pas pour elle, une très grande intelligence, mais ce n’était pas là ce
que je lui demandais. Je me rappellerai toujours qu’elle m’écrivit un
jour automate ottomane ce qui excita beaucoup mon hilarité (expres-
sion parlementaire). À part les moments purement mythologiques
je n’avais rien à lui dire. Au bout de 8 jours que nous eussions vécu
ensemble j’en aurais été assommé. Tout le monde n’est pas toi. Car
toi tu as pour attirer les gens des charmes secrets dont ils ne se
doutent pas. [...] Tu me donnes de l’orgueil. Je ne vois pas, partout
où je tourne les yeux, un homme aimé par une femme telle que toi.
Moi qui ne me croyais pas fait pour inspirer de passion sérieuse, je
suis si bien démenti par toi que je deviendrais fat et sot si tu ne me
laissais encore un peu de bon sens ».
Flaubert dit qu’il s’est « enlaidi » depuis dix ans. « J’avais une dis-
tinction de figure que j’ai perdue, mon nez était moins gros et mon
front n’avait pas de rides. Il y a encore des moments où quand je
me regarde je me semble bien mais il y en a beaucoup où je me
fais l’effet d’un fameux bourgeois. Sais-tu que dans mon enfance, les
princesses arrêtaient leurs voitures pour me prendre dans leurs bras
et m’embrasser ». Et Flaubert de raconter comment il fut embrassé
par la duchesse de Berry. Aurait-il été un bon père ? « Mais à quoi
bon faire sortir du néant ce qui y dort ? Faire venir un être c’est faire
venir un misérable ». Et il cite Job, un des plus beaux livres qu’on
ait faits. Il s’est nourri de la Bible : « Pendant plus de trois ans je n’ai
lu que ça le soir avant de m’endormir ». Il a entrepris des « choses
assez longues ». Il avoue avoir « toujours peur d’écrire », et éprouver
« avant de commencer une œuvre une espèce de terreur religieuse et
comme une appréhension d’entamer le rêve [...] Et puis l’imagination
est plutôt une faculté qu’il faut, je crois, condenser pour lui donner
de la force, qu’étendre pour lui donner de la longueur. Paillettes d’or,
légères comme de la paille et volatiles comme la poussière, mes idées
ont plutôt besoin d’être mises à la presse que passées au laminoir ».
Puis Flaubert cite le voluptueux poème que Louise Colet a consacré
à leurs amours à Mantes : « Ô lit si tu parlais [...] Ton flanc [...] Pressait
ma gorge ronde et ferme. Où brille un bouton de carmin. Ton bras
enlaçait ma ceinture. Ton cou vers mon cou se tendait. Et ta lèvre
embaumée et pure. A ma lèvre se suspendait. Deux langues dans
la même bouche. Mêlaient d’onctueux lèchements. Nos corps unis
broyaient la couche. Sous leurs fougueux élancements ».
Et il ajoute : « Ce sont là des vers émouvants et qui remueraient
des pierres à plus forte raison moi. Bientôt nous recommencerons
n’est-ce pas à nous jeter le défi de nous assouvir. Patiente un peu.
Moi je m’impatiente. Adieu. Mille morsures sur ta bouche rose ».
Correspondance
(éd. J. Bruneau), Bibl. de la Pléiade, t. I, p. 374.
provenance
Ancienne collection Daniel Sickles (X, 3620) ; Ader Nordmann,
21/02/2013