137
111. JARRY (Alfred). Lettre autographe signée à Rachilde, datée
Lundi 7
[sic pour 8 juillet 1907],
4 pages sur un double feuillet in-12 au crayon, avec un
dessin original
de Jarry représentant le Père
Ubu, sous chemise demi-maroquin moderne.
2 500 / 3 500
€
Emouvante lettre d'un Jarry désargenté et déjà très malade, craignant d'être expulsé de son logis de la rue
Cassette pour non-paiement, et parlant avec humour de sa maladie.
Comme d'habitude, Jarry plaisante sur son état de santé :
Nous commençons à être blasé sur l'Impossible, et
le Surmâle, roman, était un balbutiement de gosse. Nous nous levons du lit au bout de quarante-cinq ou six
jours, et, placidement, tout doucement, et sans nous frapper, nous prenons directement l'express nocturne
[pour
rentrer à Paris]. Détails :
Nos modestes pulsations… tictaquaient à 60 ou 70 en normale. On nous racontait
l'année dernière que l'être vivant meurt à 120. Les merdecins
[sic] …
considèrent que 120 était notre normale.
Il précise que lorsqu'il reprit le train, il avait 148 pulsations ! Quant à son logis de la rue Cassette :
croyez-vous
que si ça nous amusait une minute de la garder, aucun être vivant y fera rien ?
Il a réglé à son concierge
ses
finances anciennes… Croit-il que je vais me fatiguer l'esprit à déménager ? Les concierges sont pleins de
vénération.
Mais Jarry annonce qu'il a
rapporté de Laval de grands biftecks que nous allons engloutir à
l'instant même.
Oui, sa santé s'est bien dégradée, mais, plaisante-t-il,
tout s'arrange fort bien : nous ne
guérissons pas, ni ne ressuscitons pas, madame Rachilde… nous naissons !
Il espère revenir
capturer quelques
pohassons.
En P.-S., il déclare ne pas revenir
avant le 15 ou le 20 août,
et permet à Rachilde ou à sa fille
Gabrielle d'utiliser son
appareil à photo
. Jarry mourra quatre mois plus tard.
A noter que figure page 4, dans le corps de la lettre,
UN DESSIN ORIGINAL DE
J
ARRY
, représentant la tête du père
Ubu vu de face, tout à fait caractéristique, et dont le style rappelle nettement les autres dessins connus de Jarry
sur le sujet. A rapprocher d'autres dessins de même sujet figurant dans d'autres lettres à Rachilde
(cf. Michel Arrivé,
Peintures, gravures et dessins d'A. Jarry,
Collège de Pataphysique, 1968). Ici, le
relâchement du graphisme donne au Père Ubu un air fatigué, reflétant peut-être l'affaiblissement de Jarry
lorsqu'il écrivit cette lettre.
Publiée dans les
Œuvres complètes
de la Pléiade (t. III, p. 679-680), mais avec deux grosses erreurs de lecture.
Ainsi, on a imprimé :
le train à 1 h. 8
, au lieu de
à 148
[pulsations], et
deux coups de rasoir sans em
, au lieu
de
sans eau
.
Quelques taches et restaurations de papier collant aux pliures.
111