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98. [JARRY (Alfred)]. – TINAN (Jean de). Lettre autographe signée à Alfred Jarry, datée
Abbaye de
Jumièges, 3 juillet
[1896]. Une page in-8, écrite au recto à l’encre noire, sous chemise demi-
maroquin noir moderne.
2 500 / 3 500
€
Très intéressante lettre adressée à Jarry et entièrement consacrée à
Ubu Roi
, dont Tinan fait le plus grand éloge.
Tinan et Jarry s'étaient connus au
Mercure de France
, auquel ils collaboraient tous deux. Tinan évoque ici le
souvenir de lectures d'
Ubu Roi
faites autrefois chez Rachilde (femme d’Alfred Vallette, directeur du Mercure)
par Jarry lui-même. Son admiration pour la pièce ne date donc pas d'hier :
… vous m'avez trop souvent entendu
rire, - et de trop bon cœur, - aux aventures de Monsieuye Ubu…
Cependant, il est loin de ne la considérer que
comme une simple farce :
il n'y a pas qu'à rire dans Ubu Roi,
souligne-t-il non sans pertinence. En juin 1896,
la pièce avait été publiée en volume au Mercure, et Tinan, qui vient justement de la relire dans cette édition
(
avec pas mal de petits changements, et très heureux, m'a-t-il semblé
), félicite Jarry. En une très belle phrase,
souvent citée depuis, il évoque tout le milieu du Mercure :
Il m'a semblé vous l'entendre lire une fois de plus
- avec accompagnement du rire de Rachilde, du rire de Moreno, du rire de Fanny, du rire de Vallette, du rire
de Schwob, du rire de Herold et du rire de Tout le monde - selon les belles sonorités de l'admirable voix du
maître des phynances…
Après avoir cité un dialogue de la pièce sur la « merdre », il déclare en conclusion :
J'ai trouvé, moi, une fois de plus que "la merdre n'était pas mauvaise".
Lettre
DU PLUS VIF INTÉRÊT LITTÉRAIRE
, tout à fait remarquable, et
TÉMOIGNAGE CAPITAL
sur les premiers échos
éveillés par l'œuvre célèbre de Jarry (la pièce, on le sait, ne sera représentée qu'en décembre 1896).
Ce témoignage spontané est d'autant plus remarquable qu'il est le fait d'un contemporain qui n'avait que 22 ans
et qui mourra deux ans plus tard.
On ne connaît que très peu de lettres adressées à Jarry à propos d'
Ubu Roi
, et celle-ci n'est pas indigne, par sa
grande qualité, d'être rapprochée de l'admirable lettre de Mallarmé à Jarry sur la pièce.
Lettre publiée dans
Vers et Proses,
t. XVI, décembre 1908 - mars 1909.