92. JARRY (Alfred). L
E
F
UTUR MALGRÉ LUI
. Manuscrit autographe de l'acte I d'une pièce de théâtre,
16 pages sur 8 feuillets in-12, écrits recto-verso à l’encre noire, s.d. [1890 ?], sous chemise
demi-maroquin noir moderne.
5 000 / 7 000
€
T
RÈS INTÉRESSANT ET CURIEUX MANUSCRIT UNIQUE D
'
UNE PIÈCE DE JEUNESSE DE
J
ARRY
.
Il est difficile de dater exactement ce texte qui, par l'inspiration, n'appartient ni au cycle de
Saint-Brieuc-des-
Choux
(1885-1888), ni à celui de Rennes (1889). De même, l'écriture en est moins anguleuse que celle des
poèmes et comédies de jeunesse d'Ontogénie, et moins ornée que celle des manuscrits de l'époque des
Minutes
de Sable mémorial
(1893-1894). On pourrait sans doute supposer que c'est entre le lycée de Rennes et le lycée
Henri IV - soit vers 1890, année que Jarry passa probablement à Laval - que fut composée cette espèce de
vaudeville, qui ne ressemble à aucune autre œuvre de Jarry. Dans les
Œuvres complètes
de la "Pléiade", Michel
Arrivé indique que ce texte date vraisemblablement "d'avant juin 1890". Selon toute probabilité, notre
manuscrit constitue tout ce qu'écrivit Jarry de cette pièce, dont seul l'acte I fut composé.
La pièce met en scène Mme du Toqué et sa fille Gertrude, qui, avec leur domestique François, attendent la
visite d'un prétendant de la jeune fille, le vicomte de l'Etang, bien sous tous rapports. Intimidé, celui-ci tarde
à entrer. Lorsqu'il est introduit par Mme du Bocage, la conversation roule toute entière sur la musique, et
Gertrude joue du piano tandis que M. de l'Etang valse avec Mme du Toqué. On apporte ensuite du vin, mais
toutes les bouteilles sont vides…
Nous citerons trois répliques :
Mme du Bocage :
Monsieur, je me plais à croire que vous ne voudrez pas nous refuser. Ma sœur va faire
préparer le thé, ce ne sera pas long. En attendant, si vous vouliez bien nous montrer votre beau talent sur le
piano ?
M. de L'Étang :
Madame, je n'y consentirai qu'après que vous aurez bien voulu me donner l'exemple.
Mme du Bocage :
Monsieur, je ne joue jamais, mais ma nièce est très bonne musicienne, et vous ne perdrez
rien au change; tant s'en faudra.
(à Gertrude)
Mignonne, si tu voulais bien donner à Monsieur un échantillon
de ton talent, en jouant un des nombreux morceaux que tu exécutes si bien ?
L'intrigue, et surtout le langage à la fois stéréotypé et involontairement bouffon, rappellent les pièces de
Labiche. Le rythme est vif, les répliques amusantes, et tout prend un air de comédie caricaturale. Il s'agit d'une
œuvre qui, pour être inachevée (mais le texte est complet en soi, Jarry a tiré un trait à la fin de la dernière
page), n'en présente pas moins un caractère tout à fait à part dans la production de Jarry. Elle nous montre en
tout cas l'étonnante précocité de l'auteur (il n'avait que 17 ans), ses dons de mimétisme, et à quel point un
certain théâtre comique faisait déjà partie de son univers.
Texte publié pour la première fois dans
Les Lettres Nouvelles
de juin 1954, et repris dans les
Œuvres
complètes,
Pléiade (t. I, p. 138-144).
Papier fragile.
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