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« Ce qui ne peut servir qu’ à un seul est bien près de ne servir à personne »

Henry Van de Velde

L’apparition sur le marché d’une collection construite sur plusieurs décennies est toujours un événement

pour des amateurs invités et des vendeurs décidés : pour les premiers c’est l’occasion attendue d’enrichir

leurs fonds (qu’ils soient publics ou privés), pour les seconds c’est l’appréhension d’une mise à nue de leur

personnalité et de l’appréciation d’un goût bien défini.

Cette fois ne dérogera pas à la règle, qui offre un ensemble cohérent d’images rares des XIX

ème

et XX

ème

siècles, le plus important depuis plus de dix années.

En ce qui concerne le domaine de ce qu’il est convenu d’appeler « la photographie historique », et en s’en

tenant, bien sûr, aux épreuves de qualité, on se verra proposer plusieurs portes d’entrée : il y a tout d’abord

la recherche des grands standards, non discutables, à la littérature abondante qui confortent l’investisseur, il

y a aussi l’utopie de l’encyclopédisme, gageure pour un médium aux occurrences illimitées ou bien la quête

d’images en relation d’un thème qui peut rapidement relever d’une manie compulsive.

Et puis il y a la collection en œuvre, le collectionneur en auteur, qui par la mise en perspective des pièces

élues, ouvrira des voies insoupçonnées à la réflexion.

Les partis-pris de nos collectionneurs dans la mise en valeur de certains auteurs et « l’oubli » de certains

autres, furent assumés dès les origines de la collection. C’est ainsi que le peu de représentativité des grands

studios des années 1860 s’explique par leur préférence pour l’œuvre intime, réfléchie et conçue à l’abri

de la commande impériale et de ses contraintes ; l’absence de l’École pictorialiste est motivée par leur

manque d’inclination pour la photographie « beaux-arts », et la photographie documentaire, quant à elle,

fut convoquée lorsqu’elle outrepassait sa fonction commune.

La construction intellectuelle d’une collection s’appuie sur des phares éclairant sur le long terme les

évidences qui stimulent la recherche des épreuves : un axe majeur se dessine à l’observation de cet ensemble,

celui qui va de Daguerre à Moï-Ver, en passant par Le Gray et ses proches, la Castiglione, Atget, Maurice

Denis, Sherril Schell ; tous inventeurs de formes, de procédés, de genres, créateurs indépendants qui

revendiquèrent, chacun à sa manière, l’autonomie d’un art récent.

L’élection privilégiée de photographies pensées et construites par des auteurs conscients, négligeant la

bonne

fortune

, forme en conséquence une histoire particulière du médium, qui renouvelle le regard.

Ce couple de collectionneurs assuma donc durant toutes ces années ses

a priori

, attachant autant d’intérêt

aux photographies des petits maîtres, si elles sont d’importance, qu’aux images magistrales des plus grands,

et privilégiant toujours la qualité intrinsèque de l’image inédite plutôt que la renommée quelquefois lassante

du déjà-vu.

Si ils ont toujours répondu favorablement aux demandes de prêts des institutions, ils réservèrent longtemps

à quelques amis la visite d’un

jardin secret

aujourd’hui ouvert à tous.

Antoine Godeau