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Une profession de foi :

Commencée à la fin des années 1970, quand l’historiographie et

le marché peinent à s’organiser, notre collection de photographies

historiques (XX

ème

siècle et entre-deux-guerres) s’est formée, à ses débuts,

de manière empirique, suivant en cela le modèle des collectionneurs-

inventeurs. La rafale d’expositions institutionnelles de la décennie

suivante et des publications savantes qui les accompagnèrent, favorisèrent

la construction d’un socle de connaissances ; il en résulta des critères

définitifs quant au choix des pièces à réunir.

Un paradoxe fondateur guida notre raisonnement, car opérant dans un

art du multiple, la sélection s’attacha en priorité aux images uniques ou

inédites ; si c’est le propre des daguerréotypes et des négatifs calotypes,

la préférence marquée pour les épreuves singulières, de tirage privé ou

avec marges (ce qui correspondrait dans le domaine de l’estampe à

l’épreuve d’artiste), la prédilection pour les auteurs méconnus ou à la

production restreinte (amateurs primitifs et modernistes ignorés), enfin

le goût pour les raretés du corpus des maîtres, sont bien un parti-pris de

collectionneurs.

La réunion d’ensembles permettant l’évaluation de ces nouveaux

entrants dans une Histoire de la photographie renouvelée a guidé la

recherche d’images

L’autre dessein originel se perçoit dans la réunion d’œuvres ontologiquement

photographiques ; l’immersion dans ce dix-neuvième siècle riche en ruptures

artistiques a permis les comparaisons, puis, une fois la compréhension

des principes fondateurs du nouveau médium bien ancrée, la décision de

porter ses faveurs sur les images caractéristiques d’un art libéré de tout

académisme, affranchi de l’invasive influence de la peinture.

Très vite, nous avons la certitude d’avoir en main une partie importante

des sources des avant-gardes à venir, et amplifions dans ce sens la

conservation des pièces.

Les principes créatifs des photographes des origines qui furent retenus

ont déjà été identifiés par les historiens ; ce sont essentiellement l’élection

du fragment, le traitement particulier du sujet, la constitution de séries

autour de motifs, le goût pour la belle épreuve, des constructions

géométriques osées, voire échappant parfois à la compréhension pour

fréquenter les lisières de l’abstraction...

Une fraction importante de la collection concerne l’école française

primitive, organisée autour de l’inédit autoportrait de Gustave Le Gray

et de sa pratique du négatif papier (calotype) ; outre Le Gray (et Mestral),

on remarque la forte présence de Charles Nègre, et la représentative part

des auteurs amateurs tels du Manoir, Delaunay, Méhédin, Pecarrère,

Salzmann, Langlois, tous habitués de l’atelier de la barrière de Clichy.

Ces photographes reconnus et publiés sont entourés d’autres, absents des

catalogues consacrés (de Noailles, Violin, Ferron, Delessert ou Grasset

d’Orcet) car à très faible diffusion. L’attachement au négatif papier,

considéré dorénavant comme œuvre à part entière, justifie les exemples

retenus (Brébisson, Nègre, Ledien).

Aux côtés de ces photographies-manifestes, des chapitres plus attendus

concernant la science, la compréhension de l’altérité, l’événement saisi

sur le vif, le renouvellement de l’art du portrait, sont illustrés par des

images rares ou inconnues (Bertsch, Ternande, de Beaucorps, Angerer,

Laisné, Nadar...)

Cet important ensemble d’images des années 1850, est précédé, d’une

sélection de daguerréotypes dominée par une pièce protohistorique,

le portrait de M. Huet par Daguerre en 1837 (deux années avant la

divulgation du procédé daguerrien, date officielle de l’invention de

la photographie), premier portrait photographique au monde. Deux

spectres solaires par Becquerel, quelques autoportraits, trois exemples

des débuts de l’activité de Brébisson, l’envoûtante plaque de Dodéro et

une pleine-plaque réalisée dans la Cordillère des Andes à grande altitude

sont les dignes compagnons de l’icône.

Les deux portraits de Virginia de Castiglione, s’ils sont matériellement

produits par Pierson et Schad, semblent dans l’histoire de « l’autoportrait

mis-en-scène » des jalons essentiels et l’on reconnaît aujourd’hui en la

Divine Comtesse l’inventrice d’un genre décliné.

Le tournant du siècle marqué par de profondes mutations est illustré par

des œuvres aussi différentes qu’un album du peintre Maurice Denis, un

ensemble d’images-preuves du physicien prix Nobel Henri Becquerel

faites durant ses recherches sur la radioactivité de la matière, un grand

portrait d’Apollinaire, des albums constitués autour de « la bande à

Bonnot » et un choix particulier d’épreuves d’Atget qui tendent à nous

proposer un autre artiste, différent de l’illustrateur attendu.

La période de l’entre-deux-guerres, moins représentée en nombre,

offre son lot de photographies inédites, d’auteurs révélés ; la série de

vues de New-York en construction autour de 1930, réalisée par Sherril

Schell, allie les options de la

nouvelle vision

à une qualité des tirages

peu commune, les nus des Stone témoignent d’une lecture revisitée

du corps féminin ; des portfolios inconnus, un grand collage, fruit

de la collaboration d’Artaud et de Lotar, un autoportrait de Brancusi,

escortent l’exceptionnelle surimpression de Moï-Ver, opportunité sans

pareil pour cet artiste mythique.

Le début des années 2000 nous a fait rencontrer la création

contemporaine, et affirmer des préférences par des acquisitions en

galeries ou aux artistes, dans une filiation qui nous sembla l’évidence.

Pour conclure, il est bon d’insister sur deux autres critères essentiels qui

déterminèrent les acquisitions ; ne retenir que des épreuves d’époque

(tirages contemporains des prises de vue), et distinguer celles vierges de

toute restauration. Il nous semblait ainsi respecter davantage l’œuvre des

auteurs, et d’en préserver l’aura.

Une histoire particulière de la photographie

Collection de Monsieur et Madame X