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RILKE (Rainer Maria).
Lettre adressée au peintre Oscar Zwintscher.
Paris, 18 octobre 1902.
Lettre autographe signée “Rainer Maria Rilke”, en allemand : 4 pages in-8.
Longue et superbe lettre écrite lors du premier séjour parisien de Rainer Maria Rilke.
C’est sa passion pour Rodin qui motiva le poète et jeune père à quitter l’idyllique Westerwede, une
petite communauté d’artistes près de Brême, en août 1902, pour s’installer à Paris. Il avait notamment
été chargé par l’historien d’art Richard Muther d’un essai consacré au sculpteur. L’expérience de la
métropole donna un tournant décisif à l’œuvre du jeune poète : “Je me souviens encore très bien que,
durant ma première année, Paris m’a presque détruit ; il m’a fallu fuir car j’étais le plus faible. Et quand
je suis revenu, j’ai eu le sentiment que j’avais besoin de son éducation impitoyable et féroce”, devait-il
avouer en 1908.
Nombre de passages des
Cahiers de Malte Laurids Brigge
(1910), le sommet de son œuvre en prose,
portent l’empreinte des difficultés d’adaptation du poète.
Sa jeune épouse, la sculptrice Clara Westhoff, ancienne élève de Rodin, venait de le rejoindre, laissant
à ses parents leur fille Ruth, née l’année précédente.
“
Die Arbeit muß über das Heimweh zu unserem Kinde forthelfen, bei uns beiden. Und wir sagen uns auch, daß
dieser neue Weg, den wir da gehen wollen, der einzige ist, der uns wieder zu unserem lieben Kinde hinführt...
Wir wohnen in einem Haus, aber wenn unsere Arbeit erst recht im Gange ist, werden wir uns in der Woche
dort nicht sehen und nur am Sonntag uns zusammen erholen und vorbereiten für die neue Woche. Unser
Plan ist, zu arbeiten, wie wir noch nie gearbeitet haben...
”
[“Le travail doit nous aider, tous les deux, à vaincre la nostalgie de notre enfant. Et nous nous disons
également que cette nouvelle trajectoire que nous voulons emprunter est la seule qui nous ramènera
à notre enfant... Nous habitons la même maison, mais cela n’empêche que, notre travail bien entamé,
nous n’allons pas nous voir de la semaine et nous reposer ensemble le dimanche uniquement et nous
préparer pour la semaine à venir. Notre projet, c’est de travailler comme on n’a jamais travaillé...”]
Avant de quitter l’Allemagne, le couple avait dispersé tous ses biens, renonçant pour longtemps à un
domicile fixe.
“
In Westerwede war große Auktion, alles ist unter den Hammer gekommen. Wir haben alles verkauft,
nur unsere liebsten Sachen (Bilder, Bücher, Möbel) behalten
[...].
Trümmer einer Vergangenheit, aber
hoffentlich auch : Bausteine einer Zukunft. Wir werden nicht sobald ein Heim haben wieder. Wir wissen
jetzt, daß wir noch lange gehen müssen, wachen und beten ehe wir eines erwerben.
”
[“À Westerwede eut lieu une grande vente aux enchères, tout a été adjugé. On a tout vendu, en
gardant juste nos affaires préférées (peintures, livres, meubles) [...]. Débris d’un passé, mais aussi, je
l’espère, composants d’un avenir. Nous n’allons pas retrouver un nouveau domicile si vite. Nous savons
maintenant que la route sera longue qu’il faudra beaucoup de vaillance et de prières avant que nous en
acquissions un autre.”]
Et Rilke d’inviter son correspondant à exposer les peintures qui lui appartiennent tant qu’il le voudra et
de les restituer ensuite aux parents de sa femme. Il aime l’idée que sa fille Ruth va grandir à proximité
de ces œuvres : “
dann würden wir
[...]
sehr gerne wissen, daß Ruth bei diesen Bildern aufwächst, sie
manchmal beschaut und etwas durch sie empfängt, einen Eindruck, ein Gefühl von uns und von Schönheit
und Kunst, eine Empfindung seltsam tief verwobener Dinge.
”
[“Nous aimerions savoir également que Ruth grandit près de ces peintures, qu’elle les observe
quelquefois et qu’elle en reçoit quelque chose : une impression, une réminiscence de nous, de la beauté
et de l’art, un sentiment de choses étrangement enfouis et enchevêtrées.”]
La rédaction de son livre l’accapare tout autant que la richesse culturelle de la ville.
“
Ich bin zunächst bei meiner Rodin-Arbeit und dann will ich zu manchen anderen kommen. Ich gehe oft ins
Louvre, suche und frage mich langsam zur Antike durch. Dann will ich auch viel Vorlesungen hören, und
lernen, was irgend möglich ist ; mir fehlt so viel.
Bei alle dem habe ich die Kastanien heuer wirklich nicht blühen sehen, habe, da alle diese Veränderungen
damals schon dunkel in mir raunten, aufzuschauen versäumt.
”
[“Dans un premier temps, je m’occupe de mon travail sur Rodin puis je vais entamer bien d’autres
choses. Je vais souvent au Louvre, recherche et pénètre petit à petit jusqu’à l’Antiquité. Puis, je vais suivre
beaucoup de cours magistraux et apprendre ce qui est possible ; mes lacunes sont tellement grandes.
Et là dessus, je n’ai pas vraiment vu les châtaigniers fleurir cette année, j’ai oublié de lever la tête, car
tous ces changements murmuraient déjà, obscurs, en mon for intérieur.”]