La guerre, la prison, la vie, l’amour :
canzoniere
d’un roi.
Dans les rondeaux, comme dans les épîtres en vers et les chansons, l’influence de Clément Marot est
indéniable : le langage de François I
er
“y est aussi poli et aussi gracieux ; le naturel s’y montre aussi
souvent que le bon goût”, souligne Champollion-Figeac. Surtout, ces compositions “expriment les vifs
sentiments dont l’âme du roi était remplie”.
L’amour est partout, bien sûr, tendrement ou rudement exposé, selon l’humeur : on pétrarquise, on
souffre, on change de maîtresse, on supplie, on récrimine… Autre “vif sentiment” non moins présent,
celui de la guerre, qui donne lieu à cette longue et belle épître sur la campagne d’Italie de 1524-1525
(
Tu te pourroys ores esmerveiller
, f. 108
r
-120
r
) d’où s’élève la plainte du soldat harassé regrettant les bras de
l’aimée.
Deux poèmes composés par François I
er
en prison, après la défaite de Pavie, sont remarquables.
Le temps d’une ballade,
Triste penser en prison trop obscure
(f. 107
r
-120
r
) et d’un rondeau,
Triste penser en
quel lieu ie tadresse
(f. 120
v
), le roi captif, marchant dans les pas de son grand-oncle Charles d’Orléans, se
montre sinon l’égal, du moins le digne élève de Marot.
Ce ne sont que quelques exemples tirés de cette riche chronique en vers et en prose où sont consignés
les grands et les petits événements – guerres, captivités, retours ou guérisons – et les “intermittences du
cœur” de l’une des plus célèbres cours de la Renaissance.
Enigmes, pérégrinations et métamorphoses d’un manuscrit.
Au recto du premier feuillet blanc se trouve une note manuscrite du libraire Chardin datée de 1818 et,
au feuillet 106, qui, dans l’esprit du scripteur, était destiné à ouvrir le volume, on a peint, sans doute
dans le premier tiers du XIX
e
siècle, le blason couronné des Mailly (
d’or à trois maillets de sinople
) en vert et
brun sur fond or.
Si l’on se fie au millésime inscrit au recto du premier feuillet, le libraire Chardin aurait acquis l’ouvrage
en 1818. Le volume avait été relié quelques années plus tôt, à la fin du XVIII
e
siècle, par un amateur qui
ignorait visiblement l’attribution royale des pièces contenues dans le manuscrit, qu’il datait d’ailleurs –
comme le prouve le titre frappé sur le dos – d’une période antérieure. Il classa donc les feuillets d’une
façon apparemment “rationnelle“ et rassembla rondeaux, chansons et ballades, rejetant à la fin les
morceaux en prose et les pièces religieuses. Il fit ensuite richement relier le tout, prouvant ainsi la valeur
qu’il accordait à cette anthologie de l’ancienne poésie française.
La présence du blason de Mailly peint au milieu du manuscrit – dont il marque le véritable
incipit
–,
ainsi que la morphologie tardive de cette petite peinture héraldique, suggèrent que le volume pourrait
avoir été cédé à Adrien de Mailly-Raineval (1792-1878) – aide de camp du duc de Berry et pair de
France, fils du maréchal de France Augustin-Joseph de Mailly (1708-1794) –
après
que Chardin eut
réussi à identifier le milieu où furent composées ces pièces en vers et en prose (dont la première édition
imprimée ne verra le jour qu’en 1847). Chardin avait sans doute trouvé dans le comte de Mailly, qui
comptait parmi ses ancêtres un conseiller et un soldat de François I
er
, un collectionneur, soucieux de
renforcer, sous la Restauration, le prestige de son illustre famille.
Originaires de Picardie (1050), les Mailly furent toujours proches du pouvoir royal, notamment
Antoine de Mailly, conseiller de François I
er
et chevalier de son ordre, mais surtout son fils René,
qui combattit dans les armées du roi. François I
er
, qui estimait René, lui remit les droits seigneuriaux
sur sa terre de Mailly par une lettre du 28 septembre 1535 dans laquelle il le qualifie de “
son cousin
”
en raison de sa parenté avec la reine Claude, fille du roi Louis XII.