Stendhal s’en prend volontiers à l’adversaire de Napoléon, qui aurait manifesté trop d’attachement
pour l’aristocratie :
“Dans ce volume on sent l’Aristocrate. Il aura du succès auprès des nobles de tous les pays. Les Kings
forcés à donner des Constitutions vont se refugier dans l’Aristocratie. Livre dangereux en ce sens”
(I, faux titre).
Et il enfonce le clou (II, p. 152) :
“Dans ce que Me de S. dit de la noblesse on sent toujours le Parvenu. Surtout dans
sa grande colère sur ce que Nap a voulu contrefaire la noblesse antique. Savez vous bien Monsieur que mon gendre est Duc ?”
“Ce volume est meilleur que le second. Il y a moins de haine, plus d’ignorance encore et moins de puérilités. Elle connaît
mieux le Bourbon que Napoléon”
, note-t-il en tête du tome III.
Crayon à la main, Stendhal épingle l’opportunisme de Necker et de ses descendants. Ainsi, lorsque
Germaine de Staël évoque le cœur “trop français” de son père (I, p. 105) :
“un Genevois impossible, pas
même la fille n’a pas le cœur français. Il espérait plus d’avancement en France, voilà l’explication de cet héroïsme, il aurait
voulu être fait Duc. Nap l’eut gagné tout de suite à ce prix, voir Gibbon.”
“Me de Staël paraît fanatique de noblesse et de crédit, c’était un cœur esclave du Ministère, en partant de son père,
elle montre ses parchemins”
(II, 287).
Pour Stendhal, l’édition même des
Considérations
a été motivée par l’ambition ministérielle du duc
de Broglie, d’où ce jugement assassin sur le titre du premier tome :
“Faire la Cour à Louis XVIII et en avoir
une place de Ministre pour Broglie.”
S’il reconnaît le talent de Mme de Staël, Stendhal n’en dénonce pas moins son ignorance féminine et
puérile (I, p. 197) : “
Excellent voilà le vrai talent de Me de Staël
(...)
si elle avait pu oublier la prétention d’être Tacite
et faire des Mémoires à la St Simon ?”
Et ailleurs (I, p. 244) :
“Phrase de femme. Il leur faut une Révolution à l’eau
rose.”
En contrepoint du texte des
Considérations
, se révèle un Stendhal quasi montagnard qui n'est guère
effarouché par les excès révolutionnaires. Dans une note signée “HB” inscrite sur le feuillet
préliminaire du tome II, il déclare :
“Si le Roi et les nobles eussent tenu leurs sermons, la Révolution était terminée
au bout d’un an. La Terreur n’est que la résistance à leurs parjures, résistance confiée à chaque village, parce que pour se
garantir d’un incendie on n’a pas le temps d’écrire à Paris.
Robespierre pouvait avoir des vues particulières, mais voilà le mouvement g
[énér]
al.
En 1814 les Kings ont accordé une Constitution, en 1793 ils n’eussent accordé que la Bastille.”
L’anglophilie de Mme de Staël est une autre pierre d’achoppement :
ainsi lorsqu’elle justifie l’entrée en guerre de l’Angleterre contre les Jacobins, parce qu’il fallait soutenir
les
honnêtes gens
, il rétorque :
“C’est-à-dire des Aristocrates, car l’Angleterre n’est qu’une aristocratie que les enfants
prennent pour une République, et Mme de S. est bien enfant”
(II, p. 100).
Ces trois volumes rageusement annotés apportent un éclairage inédit sur
l’
inimitié élective
qui liait Stendhal à Germaine de Stael.
“Sans doute n’a-t-il tant médit de cette gêneuse, à qui il a nonobstant reconnu une indiscutable
supériorité sur les personnes de son sexe, que parce qu’il se savait plus proche d’elle, et plus redevable
à son égard, qu’il ne l’eût voulu”, observe avec beaucoup de justesse Philippe Berthier.
Exemplaire entièrement non rogné, conservé dans sa première reliure.
Mention manuscrite au crayon sur le contreplat : “
Livre qu’on ne prête pas.
”
Quelques épidermures, coins émoussés.