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Livres et Manuscrits

RTCURIAL

14 juin 2017 14h. Paris

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Antoine de SAINT-EXUPÉRY

1900-1944

Lettre autographe signée à Pierre Dalloz

Secteur postal 99027 [Erbalunga ou

Pietranera (Corse), 30 juillet ou dans

la nuit du 30 au 31 juillet 1944].

2 p. in-8 oblong et enveloppe avec

suscription autographe.

Une des deux dernières lettres connues

d’Antoine de Saint-Exupéry, écrite

quelques heures avant sa disparition.

Les circonstances de la disparition de

Saint-Exupéry durant une mission de

reconnaissance aérienne sur le sud de

la France, le 31 juillet 1944, restent

méconnues. Si bien que tout ce qui

évoque sa mort mystérieuse conserve

aujourd’hui un caractère vénérable et

une force symbolique peu commune.

Il ne peut pas en aller autrement des

deux dernières lettres qu’Antoine

de Saint-Exupéry écrivit avant

de disparaître, l’une destinée au

résistant Pierre Dalloz, réfugié en

Algérie, l’autre à Nelly de Vog é.

Toutes deux furent retrouvées sur la

table de Saint-Exupéry, le soir du 31

juillet 1944, par le capitaine René

Gavoille, qui procéda à l’inventaire

de la chambre du disparu. Ce fut lui

qui se chargea de poster l’enveloppe

libellée par Saint-Exupéry, à Alger,

le 3 août 1944. Comme le racontera plus

tard Pierre Dalloz, le pli qu’il reçut

– portant l’adresse de Louis Joxe chez

lequel il avait un temps trouvé refuge,

et réexpédié par Françoise Joxe avec,

au verso, un petit mot amical au crayon

– contenait à la fois la lettre qui

lui revenait et celle destinée à Nelly

de Vog é, qu’il prit soin de faire

passer à sa destinatrice par des voies

détournées (la trace de cette seconde

lettre semble aujourd’hui perdue...).

Rendue publique en 1954 à l’occasion

d’une exposition sur Antoine de Saint-

Exupéry à la Bibliothèque nationale,

lue à la radio le 5 juillet 1969 par le

comédien Marc Cassot, éditée depuis à

de très nombreuses reprises, souvent de

manière tronquée voire erronée, cette

lettre avait cependant disparu depuis

plusieurs décennies. C’est ainsi qu’à

l’exposition nationale organisée de

novembre 1984 à février 1985 par la

direction des Archives de France, à

l’occasion du quarantième anniversaire

de la disparition de Saint-Exupéry, seul

un fac-similé avait pu être présenté...

Quant à l’original, il avait été vendu,

de manière inaperçue semble-t-il et sans

qu’on sache aujourd’hui pourquoi, dans

une vente judiciaire à Pontoise, le 11

novembre 1976. Il est resté depuis dans

la famille de son acquéreur.

Cette “lettre-relique”, troublante en

tant que telle, est cependant d’autant

plus remarquable que son contenu est

fascinant quand on le considère à

l’aune de notre connaissance - ou de

notre méconnaissance - des événements

qui suivirent et quand, à la lecture

de la dernière phrase, on s’imagine

le

Petit Prince

en jardinier, tel

qu’Antoine de Saint-Exupéry se plut à

le représenter dans son conte :

Cher cher Dalloz que je regrette vos

quatre lignes ! Vous êtes sans doute

le seul homme que je reconnaisse comme

tel sur ce continent. J’aurais aimé

savoir ce que vous pensiez des temps

présents. Moi je désespère.

J’imagine que vous pensez que j’avais

raison sous tous les angles, sur tous

les plans. Quelle odeur ! Fasse le

ciel que vous me donniez tort. Que je

serais heureux de votre témoignage !

Moi je fais la guerre le plus

profondemment

[sic]

possible. Je suis

certes le doyen des pilotes de guerre

du monde. La limite d’âge est de trente

ans sur le type d’avion monoplace de

chasse que je pilote. Et l’autre jour

j’ai eu la panne d’un moteur, à dix

mille mètres d’altitude, au-dessus

d’Annecy, à l’heure même où j’avais...

quarante-quatre ans ! Tandis que je

ramais sur les Alpes à vitesse de

tortue, à la merci de toute la chasse

allemande, je rigolais doucement

en songeant aux superpatriotes qui

interdisent mes livres en Afrique du

Nord. C’est drôle.

J’ai tout connu depuis mon retour

à l’escadrille (ce retour est un

miracle). J’ai connu la panne,

l’évanouissement par accident

d’oxygène, la poursuite par les

chasseurs, et aussi l’incendie en vol.

Je paie bien. Je ne me crois pas trop

avare et je me sens charpentier sain.

C’est ma seule satisfaction. Et aussi

de me promener, seul avion et seul à

bord, des heures durant, sur la France,

à prendre des photographies. Ça c’est

étrange.

Ici on est loin du bain de haine mais,

malgré la gentillesse de l’escadrille,

c’est tout de même un peu la misère

humaine. Je n’ai personne, jamais, avec

qui parler. C’est déjà quelque chose

d’avoir avec qui vivre. Mais quelle

solitude spirituelle !

Si je suis descendu je ne regretterai

absolument rien. La termitière future

m’épouvante. Et je hais leur vertu

de robots. Moi j’étais fait pour être

jardinier.

Je vous embrasse.

Provenance :

Pierre Dalloz

Vente anonyme à Pontoise, le 11 novembre

1976, n° 58

Resté depuis dans la même collection

Exposition :

Antoine de Saint-Exupéry : exposition

organisée pour le dixième anniversaire

de sa mort

, Paris, Bibliothèque

nationale, 1954, n° 51

Antoine de Saint-Exupéry, 1900-1944 :

exposition nationale organisée par

la direction des Archives de France –

ministère de la Culture, à l’occasion

du quarantième anniversaire de la

disparition d’Antoine de Saint-Exupéry

,

Paris, Archives nationales, novembre

1984-février 1985, n° 547 (fac-similé)

Bibliographie :

Pierre Dalloz,

Vérités sur le drame du

Vercors

, 1979, p. 273-275

Album Antoine de Saint-Exupéry

,

Bibliothèque de la Pléiade, 1994,

p. 296 (repr.)

Antoine de Saint-Exupéry,

Écrits de

guerre, 1939-1944

, 2000, p. 428-429 et

436-437

Antoine de Saint-Exupéry,

Œuvres

complètes

, II, éd. , M. Autrand et

M. Quesnel, Bibliothèque de la Pléiade,

2009, p. 1050-1051 (citation partielle)

15 000 - 20 000 €

Antoine de Saint-Exupéry