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les collections aristophil
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CHATEAUBRIAND François-René, vicomte de
(1768-1848)
[AF 1811, 19
e
f].
L.A.S. « de Chateaubriand », Paris 29 novembre 1812 à
Sophie
GAY
; 2 pages et demie in-4, adresse.
1 500 / 2 000 €
Très belle lettre sur sa retraite après le scandale de son discours
de réception
.
[C’est grâce à l’intervention de Sophie Gay, notamment auprès de
Regnaud de Saint-Jean d’Angély, et à la condition de garder le silence,
que Chateaubriand put éviter de graves ennuis et ne pas essuyer les
rigueurs de la vive irritation de Napoléon. Il reçut l’ordre de s’éloigner
de Paris et se retira à la Vallée-aux-Loups.]
« J’ai lû, Madame, avec attention, la lettre que vous avez bien voulu
me communiquer. Madame la Comtesse Régnault exprime avec grâce
des sentiments généreux : je n’ignorais pas la politesse avec laquelle,
elle a toujours parlé de moi et de mes ouvrages ; mais cette preuve
directe de son intérêt, me touche plus que je puis le dire. Veuillez,
Madame, être auprès d’elle l’interprète de ma reconnoissance, et
joindre le nouveau service à toutes vos bontés.
Quant au fond de la lettre, tout ce que dit Madame Régnault des
sentiments de son mari à mon égard, est franc et loyal : je n’attendois
pas moins d’un homme de son mérite. Monsieur le Comte Régnault
a trop de noblesse de caractère, pour se mettre au nombre des
persécuteurs d’un homme sans défense, qui n’a jamais fait de mal à
personne, et qui ne hait pas même ses ennemis.
Monsieur le Comte Régnault pourroit sans doute, Madame, me rendre
un très grand service, en se joignant à mes amis, pour faire cesser
la misérable guerre dont je suis l’objet, et qui deshonore les lettres :
il ne sauroit être arrêté par la crainte qu’il paroit avoir, de protéger
un ennemi du gouvernement. J’ai fait mes preuves à cet égard dans
l’Itinéraire
et dans mon
discours
où j’ai parlé en vrai françois de la
gloire de l’Empereur et de l’éclat de ses armes. Maintenant fatigué
des orages, je ne demande que la paix et l’oubli. Si la position de
ma fortune m’oblige encore à reparoître en public, ce ne sera que
malgré moi, et avec une répugnance extrême. Je voudrois, s’il étoit
possible, m’ensevelir dans la retraite pour y travailler pendant une
vingtaine d’années, à un ouvrage auquel je me sens appellé, par
mon amour pour mon pays. Désirer vingt ans de silence, Madame,
prouve que je n’ai pas une soif si ardente de célébrité. Car un silence
d’une aussi longue durée, pourroit bien se changer pour moi en un
silence éternel »...
L’Académie française au fil des lettres
, p. 168-171.