senti la qualité comme Boussingault, Charles Dufresne, Pierre Dubreuil, etc. Le rôle qu’il a
joué à cette époque est si important que le Marché de l’Estampe en vit encore. Non content
d’éditer, il fréquente les ventes publiques françaises et étrangères et continue d’accumuler
les Estampes des artistes qui lui sont chers même si ceux-ci n’ont pas encore atteint à la
renommée internationale. Il “ramasse” dans les ventes, à petits prix, les œuvres qu’il sait ne
pas pouvoir revendre tout de suite. Il entasse ces feuilles de papier dans son appartement de
la rue de Tournon puisque, depuis 1955, la boutique est fermée à la suite du décès de son
collaborateur M. Chebroux. Oui, il entasse avec passion, frénésie, et je me rappelle qu’un
jour, il dit à Paul Prouté : “Tu vois Paul, nous sommes les derniers entasseurs de papiers”.
Mais si Henri Petiet vit du commerce de l’Estampe, il travaille énormément à la recherche
sur les œuvres de plusieurs artistes constituant ainsi une documentation capitale à la
connaissance de l’Estampe moderne. C’est ainsi qu’il fournit de précieuses informations
à ceux qui rédigeront plus tard, le catalogue raisonné de Paul Gauguin, par exemple. Les
chercheurs, universitaires, ont souvent recours à lui ; de nombreux catalogues n’auraient
pu être réalisés sans les prodigieuses connaissances de Henri Petiet. De plus, il est un
grand animateur du Marché de l’Estampe par sa présence dans les ventes françaises et
internationales où il soutient les prix de ses artistes.
Je rencontrais fréquemment Henri Petiet, soit qu’il passe me voir rue du Four, soit que
j’aille le voir dans cet extraordinaire appartement de la rue de Tournon encombré d’Estampes,
de livres, de cartes postales d’automobiles, et de modèles réduits de chemin de fer. Il fallait
zigzaguer au milieu de piles d’Estampes parfois posées à même le sol pour arriver jusqu’à la
table ronde qui lui servait de bureau et où il prenait ses repas. J’ai recueilli auprès de lui des
informations qu’il me donnait volontiers et qui ont contribué à ce que je sais de l’histoire de
la gravure moderne. Sa prodigieuse mémoire lui permettait de répondre instantanément,
à la vitesse d’un ordinateur, sur la date d’une Estampe, le nom de son éditeur, le nombre
du tirage, etc. Sous ses allures de dilettante nonchalant, c’était un gros travailleur. Il tenait
à jour des fiches qui resteront des documents irremplaçables dans l’histoire de l’Estampe
moderne. Sa disparition fut une grande perte pour le monde de la gravure.
Je garderai personnellement le souvenir de sa haute silhouette aristocratique, de ses
manières raffinées, encore que parfois, il aimait choquer son auditoire par quelques propos
un peu “salés” mais dans sa bouche distinguée, ces mots n’avaient jamais rien de vulgaire.
Impitoyable avec les gens qu’il n’appréciait pas, ou qu’à la limite il méprisait, il était par
contre, d’une fidélité et d’une gentillesse extrêmes avec tous ceux qu’il appréciait, et j’ose dire
que je faisais partie de ces derniers. Henri Petiet est une figure incontournable, comme on
dit aujourd’hui, du Marché de l’Art au XX
e
siècle.
Jean-Claude ROMAND, avril 1991