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224. COCTEAU (Jean).

J

OURNAL

1911-1912

. [Avril 1911 et 28 juin 1911-avril 1912]. M

ANUSCRIT

AUTOGRAPHE

de 91 pages, dans un ancien et grand album du XIX

e

siècle in-folio (405 x 318 mm) de 80 feuillets lignés

(les 11 derniers remplis recto-verso), Bradel vélin, encadrement d’un double filet à froid, dos muet, tranches

marbrées.

18 000 / 25 000 €

P

RÉCIEUX

JOURNAL DE

JEUNESSE

INÉDIT

.

Offert en juin 1911 par la peintre Romaine Brooks (ainsi que l’atteste une note autographe sur le f. 1), ce journal est commencé le

28 juin 1911 à Maisons-Laffitte, propriété familiale où le jeune Cocteau passait ses vacances. Il couvre toute la vingt-deuxième

année de Cocteau, allant jusqu’à l’été 1912. Entre le 23 et le 24 août 1911, il recopie aussi des pages concernant sa rencontre avec

l’impératrice Eugénie au Cap Martin, en avril 1911, grâce aux Daudet. Écriture à l’encre bleue ou noire, nombreuses ratures.

N

OTES AU

JOUR

LE

JOUR

. Cocteau collectionne diverses pensées ou maximes, rapporte des choses vues et entendues, sous forme de

paragraphes distincts, séparés par une petite étoile et souvent précédés de la date du jour. C’est un fourmillement d’idées qui

s’enchaînent au gré des humeurs du jeune poète et des événements. Il aborde des sujets aussi divers que la beauté de la pleine lune,

les journées qui passent, les drogues, Bayreuth (

La Walkyrie

), Dieu, la musique, la peinture, la quatrième dimension, les feux

d’artifice, les voyages en voiture, la mode (en dandy, il écrit le 17 août 1921 :

Je ne connais pas de sensation comparable à celle

de se sentir élégant, d’une manière à la fois molle et impeccable

. […]

Le génie ne doit pas exclure l’élégance

), etc. Le thème de la

mort est aussi omniprésent.

En jeune successeur de La Rochefoucauld, il résume le monde en de spirituelles maximes :

Notre cœur l’appareil digestif de ce que

nous avalons par les yeux et les oreilles

(20 janvier 1912) ;

Les personnes géniales ont d’avance le masque grave, éternel et muet

de la mort

(16 février 1912) ;

Il ne faut jamais qu’un artiste se réjouisse lorsqu’on lui vante son intelligence, sa perspicacité, sa

conversation, car toutes ces choses se payent en faiblesses dans une œuvre

(26 février 1912) ;

Il y a des gens qui ferment les yeux

aux morts. Les poètes sont chargés de les ouvrir aux vivants

(28 août 1911) ;

Lire, aller au théâtre, fumer, se voir, faire des volumes,

aimer, c’est jouer aux cartes en wagon. D’abord on joue pour se désennuyer, puis on prend goût au jeu et c’est avec malaise qu’on

pense à la gare finale vers laquelle l’express vole

(17 juillet 1911), etc.

A

NECDOTES

DE

SON MONDE

. Les parties rédigées à Paris recèlent un grand nombre d’anecdotes sur la haute société du temps qu’il

côtoie : Astruc (qui le 30 juin lui fait visiter le futur Théâtre des Champs-Elysées), Stravinsky, Mme Stern, Anna de Noailles, Sem,

Lucien Daudet, Mme Daudet (dont il retranscrit de nombreux souvenirs concernant son mari, notamment son dégoût de Leconte de

Lisle), Mme Simone, Jean et Boni de Castellane, Jules Lemaître, Anatole France, Camille Doucet, D’Annunzio, Sacha Guitry,

Mardrus, Ajalbert, les Rothschild, l’impératrice Eugénie (qui, à moitié endormie, au nom de Mme Sand, demande :

pour madame

de qui ?

), les Rostand, Marie Scheikévitch, Romaine Brooks, l’abbé Mugnier, Jarry, Jacques-Emile Blanche (dont il visite l’atelier

le 25 janvier 1912 et qui, peu après, va commencer son portrait), etc. De ces rencontres, il retient souvent une histoire piquante ou

cite une réplique spirituelle, comme celle de la domestique de Proust :

Naturellement que la terre tourne ! avec tous ces tramways,

tous ces automobiles, toutes ces machines !

(16 juillet 1911). Il relève aussi les événements historiques qui le marquent : des saboteurs

faisant dérailler un train, le vol de la Joconde (elle

n’est plus au Louvre. Elle sourit chez quelqu’un

), sa rencontre avec l’impératrice

au Cap Martin, le naufrage du

Titanic

... Il décrit également les lieux où il séjourne (Trouville, Sartrouville, etc.), en particulier son

long voyage à Alger avec Lucien Daudet (12 mars au 8 avril 1912), dont il retranscrit les impressions sur 16 pages, comme Gide,

dont il lit assidûment l’œuvre, l’avait fait avant lui.

L

ES ARTS

ET

LES

LETTRES

sont évidemment au centre de ses intérêts. À propos du triomphe des Ballets russes à Londres, il écrit, le

28 juin 1911 :

J’en étais sûr. Quelle troupe ! Leur secret consiste en ce que chacun reste dans son rôle. Il y a le cerveau, le cœur,

les yeux, les bras, etc. Cet ensemble constitue un corps au parfait équilibre

; le 16 juillet, il apprend de Reynaldo Hahn que les

ballets vont montrer leur ballet

Dieu bleu

en octobre à Londres, avec Nijinski, dont il dresse un beau portrait :

À notre époque, il

n’y a qu’un seul jeune homme glorieux, c’est Waslaw Nijinski (20 ans).

[…]

lorsque ce danseur ajoutant à l’indiscutable et

stupéfiante supériorité de ses voltiges, la pathétique lumière de l’adolescence et le multiple génie du mime, achève une musique

indécise et soulève d’enthousiasme une salle hostile, je suis fier d’être son ami

(16 mars 1911). Il est question de

David

, un ballet

qu’il envisage pour Nijinski (5 janvier 1912, en particulier), dont le projet sera repris avec Stravinsky en 1913, mais qui ne sera

jamais achevé.

Son journal permet aussi de suivre

SES LECTURES

: après celle enthousiaste de l’

Iliade

(14 juillet 1911), il cite des passages de Racine

qui lui

tirent les larmes

(16 juillet 1911) tout comme les lettres de Laforgue à sa sœur (20 août 1911). Il est plus réservé à la lecture

de

Dorian Gray

(

Toute la partie jeune, fraîche, au soleil ; amoureuse de Dorian Gray

[…]

est adorable. Le reste est un fatras

illisible

(15 juillet 1911), dit-il sans que cela ne lui inspire une adaptation théâtrale du roman. Ces notes de lectures sont la réponse

à une question que se posent les spécialistes de Cocteau, qui ignorent quand il travailla à cette adaptation théâtrale : “Le journal inédit

que Cocteau écrit du 28 juin 1911 au mois d’avril 1912 apporte-t-il des précisons qui font défaut”, se demandent les éditeurs qui

précisent que “ce journal a disparu” (

Théâtre complet

, Pléiade, p. 1830). Cocteau retranscrit également de nombreuses anecdotes

ou citations à propos de gloires littéraires passées, comme Corneille, Lamartine, Vigny, Villiers, Mallarmé, Byron, Titon du Tillet

(dont il a acheté une édition de 1760 chez une antiquaire de Versailles), Ronsard (dont il recopie un sonnet

qu’on devrait inscrire

en tête du livre qu’on publie

). En écrivain bibliophile, il s’émerveille de la beauté des manuscrits,

plastiquement aussi merveilleux

à voir que n’importe quel chef d’œuvre de dessin

(21 août 1921).

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