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LE MAG

www.artefact-leclereblog.fr

exemple, dans

Coiffeur pour dames

(ci-dessus), thème qui aurait

pu être du plus trivial réalisme, mais qui présente des sujets nus

parmi d’autres vêtus normalement, tous adoptant des attitudes

communes. En plus de ce décalage permanent, voire de la lévi-

tation de certains de ses sujets (cf. Le Rêve), de l’incongruité des

situations, des attitudes, des décors, on trouve quelque chose de

hiératique et d’atemporel dans ses toiles, et enfin, une dimen-

sion foncièrement hermétique encore significative du monde du

rêve, un monde qui paraît toujours bouclé sur lui-même dans

son étrangeté, mettant le spectateur à distance devant ce qui lui

restera comme indéfectiblement énigmatique.

Eros, Thanatos, Modernitas

Si les sujets de Delvaux sont des plus communs, surtout à son

époque, il va pourtant tous les traiter d’une manière unique à

travers son prisme onirique. Ses femmes, vues dans sa vision

intérieure, revêtent souvent les traits identiques d’une figure

idéale. Surtout, il peint et dessine de très nombreuses scènes

de saphisme pour de très rares couples, comme si – on évoque

en cette matière son éducation puritaine et son histoire person-

nelle – la femme devait demeurer impénétrable, dans tous les

sens du terme, doubler et court-circuiter son mystère dans un

rêve inaccessible, aussi charnel se montrât-il, et la technique

de l’aquarelle, lorsqu’elle est employée ici, renforce encore le

trouble et le contraste. Dans la période où il peint de nombreux

squelettes, Delvaux le fait toujours selon la logique qui préside

à l’ensemble de ses toiles, si bien que la mort évoquée ne se

réfère peut-être qu’à un sommeil plus profond, une énigme plus

totale, et alors que les os trahissent en premier lieu une nudité

plus complète, ses squelettes s’installant dans des poses quo-

tidiennes parmi les vivants avec la même évidente désinvolture

que ses nues le faisaient au milieu des vêtus. Et lorsqu’il touche

à des motifs résolument modernes, a priori bien à rebours du

rêve, comme les trains et leurs rouages conquérants, Delvaux

les renvoie, comme dans

Le Train bleu

(ci-contre) au voyage psy-

chédélique, à l’exil, aux mêmes continents fantasques où tout

échoue toujours au bout de ses pinceaux.

InforMaTIons praTIquEs :

Paul Delvaux. L’écho du rêve.

Centre Wallonie-Bruxelles de Paris

127-129 rue Saint Martin 75004 Paris

Jusqu’au 19 septembre 2016

Ouvert du lundi au vendredi, de 9h00 à 19h00

Les samedis et dimanches, de 11h00 à 19h00.

L’art du contre-champ

Contrairement aux rêves de Dali, explosifs, délirants, séminaux

(chauffés au soleil d’Espagne), ceux de Delvaux sont nébuleux,

minéraux, immuables. Un théâtre intérieur aux rituels aussi

figés qu’intraduisibles, où se mélangent les époques, comme

dans

La Terrasse

, voilà ce que semblent dévoiler les visions

du peintre – une énigme fondamentale, éternelle, d’une fas-

cinante opacité. La toile monumentale au titre oxymorique

Le Dialogue

, montre deux femmes installées devant de nom-

breuses colonnes ne soutenant rien, si ce n’est l’azur, muettes

et qui s’ignorent : scène frappante, vertige des profondeurs

et de l’incommunicable. D’une certaine façon, par ses visions

d’autant plus captivantes qu’elles nous excluent du panorama,

Delvaux aura su redéfinir de manière sensible et aigüe la no-

tion de sacré, ce qui est séparé du réel commun, apparent, fa-

milier. Il aura su réveiller l’altérité abyssale qui gît au cœur des

choses, des êtres et du monde, dans une ère ayant au contraire

tout profané en surface dans l’effort insensé de rendre l’univers

entièrement transparent, décodable, exploitable. Toile après

toile, le peintre belge aura de la sorte su multiplier les contre-

champs au froid néon de la raison moderne.

Coiffeur pour dames. 1933.

© Vincent Everarts-ADAGP Paris 2016