— Lettre autographe signée adressée à Michelle.
Avril 1943 ; 4 pages in-folio. «
Il est au camp de Corbiac.
Mon père, il est “major” (et c’est moi !) du camp. Alors
on parle de moi en disant “le fils du Major” ». Il lui
raconte « l’incendie qui brûle depuis hier soir dans les
forêts de pins — depuis la mer et qui arrive maintenant
jusqu’à nous.
[…]
J’aurais envie d’aller par là-bàs, et
de danser dans le feu. » Il lui dit sa difficulté à écrire
« C’est dur d’écrire et j’ai pas l’habitude. Et c’est peut-
être rasoir. Mais tu m’en voudras pas, dis Michelle?
[…]
Je suis ici comme employé de bureau J’fais pas
grand chose, et je mange bien.
[…]
Les Allemands, on
les voit pas du tout, mais on les sent pas loin.
[…]
Pour
qu’on sorte, du reste, faut des laissez-passer, signés du
major du camp. Alors je sors comme je veux, puisque
lemajor, c’est mon papa.
» Il termine «
Écris lisiblement,
je passe des journées à déchiffrer tes lettres.
»
— Lettre autographe signée. Au camp de
Corbiac, avril 1943 ; 12 pages in-4°. Il a été réveillé
dans la nuit par un individu qui gesticulait en bas de sa
fenêtre. Endormi, il est allé le rencontrer au poste de
sécurité. Il s’agissait d’un chauffeur à qui l’on interdisait
de sortir du camp, pour aller chercher le médecin qui
devait pratiquer des prises de sang obligatoires pour
tous dès le lendemain. Un marin se trouvant présent
a mal interprété les propos de Loustalot et une
altercation intervient.
— Lettre autographe signée, adressée à
Michelle. Mai 1943 ; 2 pages in-4°. «
J’ai le cafard ma
Michelle. J’ai le cafard et je bois. Beaucoup trop,
je crois. Comment faire? Le film est magnifique et
marrant.
[…]
Ici, avec ces putains de bombardement,
on est appellé à perdre toutes ses affaires. Je suis pas
mort de celui de l’autre jour, mais s’en est fallu de peu.
Te raconterai. Tu m’écris jamais. C’est pas gentil. Moi
je vais plus t’écrire, parce que j’en suis maintenant
incapable. C’est fini.
»
— Lettre autographe signée. «
Triste camp,
dimanche
». Mai 1943 ; 4 pages in-folio. Il raconte un
dimanche passé au camp. Il se rend chez une femme
pour une panne électrique. «
Et avant que j’ai pu
intervenir, notre Major a sur lui une drôlesse ricanante
et édentée, une furie echevelée et puante, qui lui
tremblote à l’oreille des mots sans suite — impossibles
à répéter ici.
»
— Lettre autographe, adressée à Michelle.
Juin 1943 ; 2 pages in-4°. «
Seul, je suis tout seul
[…]. J
e suis garde-magasin à Corbiac.
[…]
Mais je
m’enmerde. C’est le cafard qui fait ça. Y a rien à faire.
J’ai même pas le courage d’écrire. Il a fallu que je
boive — il y a dix minutes — un grand verre de eau-
de-vie
[…].
Et je couche dans le magasin, une grande
bâtisse de xoisante mètres de long. J’ai ma chambre
au bout. L’emmerdant, c’est qu’il y a des puces et des
punaises. Remarque que je m’en fous, elles viennent
pas sur moi.
» Il lui soumet une recette pour chasser les
morpions, puis «
Je me souviens vous devoir du fric. Je
t’enverrai çà à la fin de juin. Je touche 2 500 par mois,
et j’ai déjà plus de rond. C’est tout bu. C’est honteux
ma Michelle? J’ai pas autre chose à faire.
»
— Lettre autographe signée, adressée
à Michelle. Septembre 1943 ; 4 pages in-8°. «
Je
suis dégouté, absolument dégouté. Ces derniers
jours, deux choses certaines : j’ai décidé de tuer un
homme (comment ? je ne sais pas encore )
[…].
1000 bonhommes doivent arriver à la fin du mois.
[…]
Quant à l’homme que je vais tuer, j’ai pris cette
décision de sang froid (car je ne bois plus) et je sens
que je ne serais tranquille que quand il sera mort.
»
Les Americains sont venus bombarder le camp mais
les bombes sont tombées à côté. «
Ce main, avec un
peu de soleil, j’ai tourné une bobine que je t’envoie
en même temps que cette lettre. Fais-la développer
le plus rapidement possible, tu seras bien gentille. Dis à
Boris qu’il se procure sans faute et le plus vite possible
des films vierges
[…]
Je vais croûter — j’ai faim. Je
t’aime bien. Jacques. Bizobizon.
»
— Lettre autographe signée. [Mai 1944] ; 4
pages in-4°. «
Je m’amuse bien — une vraie rigolade
— quelques appareils sautent, des gars se retrouvent
en caleçons, quelques morts graves de temps en
temps et le Major sur ses pieds — Vive le Major !
».
On joint 12 lettres autographes signées ou non
adressées à Michelle et Boris Vian. Correspondance
amicale adressée à son retour du camp de Corbiac.
On joint une biographiemanuscrite signée deMichelle
Vian :
Jacques Loustalot, fils de Marcel Loustalot, maire et
notable de Saint Martin de Saignaux dans les Landes
(qui avait aussi un appartement rue du Bac à Paris)
était en désaccord perpétuel avec son père qu’il
appelait “ce con de Marcel”. Le père ne s’entendait
pas avec la mère qui avait été son infirmière pendant
la guerre de 1914 et Jacques adorait sa mère. Il était
très gentleman. Il adorait Kipling, parlait bien anglais
sans être bon élève, était borgne et portait un oeil de
verre. À la suite d’un accident, peut-être en voulant
démonte une arme, il laissait penser parfois par
romantisme, qu’il avait fait, enfant, une tentative de
suicide. Il se présentait et signait sa correspondance
sous le nom du “Major, le bienheureux Major de retour
des Indes”, et ornait son courrier de timbres indiens. Je
le rencontrai à Capbreton où j’étais arrivée avec ma
famille à l’exode de 1940, sur le chemin de la plage
où il m’aborda avec une grande politesse. Il était
grand, brun, les yeux noirs et nous fûmes tout de suite
extrêmement amis, moi avecconfianceet lui avecune
extrême politesse. Quand Boris arrive, lui aussi amené
par l’exode. Lors d’une surprise party, je rencontrais
Boris et Boris rencontrait le Major dont l’esprit teinté
d’humour anglais le séduisit immédiatement. Il devint
le principal acteur, le personnage à la fois diabolique
et policé des romans et nouvelles de sa jeunesse
Naturellement il connaissait tout du swing et possédait
des disques d’Amstrong et autres jazzman américains.
Il fut jusqu’à sa mort, le meilleur et le plus généreux des
amis de Boris. Il est mort en tombant d’une fenêtre,
au cours d’une surprise party en 1948 à 3h. du matin.
Il était toujours au courant de toutes les parutions
littéraires et musicales. (Michèle Vian)
700/1000 €
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AUTOGRAPHES - MANUSCRITS - LIVRES