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à plaindre. Quant à la protection dont tu me parles, tu as du éprouver qu’il ne falloit pas trop y compter en général. Je puis savoir qui
est mal pour moi, mais pour connoître qui est bien, cela me seroit trop diffcile à deviner. Mon frère [Eugène] est venu me voir, […] sa
position est heureuse, il n’en désire pas d’autre ; mais il a peu le pouvoir d’être utile à ceux qu’il aime. Je désirerois beaucoup me rappro-
cher de lui, ce seroit au moins un soutien et un intérêt dans ma vie ; mais le pourrai-je ? Je serai bien aise que tu voyes mon fls si tu
vas à Rome. Son père sera sans doute bien pour toi, il a été bien mal pour moi et cela m’a fait de la peine pour lui car pour nos affaires
d’intérêt il est impossible de s’être plus mal conduit ; mais je lui ai pardonné de tout mon cœur »... Elle parle de leur amie Alexan-
drine [Pannelier, baronne Lambert (1787-1856)], puis de sa santé : « Je souffre beaucoup de la poitrine. Je crois qu’elle commence à
s’attaquer sérieusement. Le climat chaud me seroit bien nécessaire, mais passer à présent les montagnes, c’est impossible ». Elle prie
Églé de se renseigner sur les eaux de Lucques et Pise, et elle serait heureuse de l’y retrouver : « nous nous comprendrions, nous nous
connaissons depuis assez longtems, nous savons que nous n’avons jamais mis notre bonheur dans ces grandeurs qu’on nous reproche
tant à présent ». Elle pense que le Grand-Duc sera bon pour elle, mais « cette triste politique oblige à bien des choses dont le cœur doit
souffrir. Pour moi, si j’allois prendre les eaux dans ses états, je ne demanderois même pas à le voir pour ne lui attirer aucun désagré-
ment. J’habite dans ce moment un bien beau pays mais je le trouve trop près de notre belle patrie et je crains à cause de cela que la
malveillance ne m’y laisse pas tranquille. Je cherche à faire l’échange de mes diamants pour une terre en Bavière, mais cette affaire va
bien lentement. […] Depuis que je suis dans ma retraite j’ai fait au moins trente romances je t’en enverrai »...
Voir la reproduction.
127.
HORTENSE DE BEAUHARNAIS
. L.A.S. « Hortense », 16 décembre [1816 ?] ; 2 pages in-12 à bordure gaufrée.
200/300
« Le roi de Bavière a été très bien pour moi il a exigé qu’on me délivrât mes passeports en se passant du visat de la France, puisque le
ministre qui est ici manquoit assez d’égard pour me faire attendre si longtems. Je parts demain ». Elle charge Églé d’en prévenir Mme
Desbassins. « Je ne lui écris pas moi-même de crainte que trop de lettres de moi ne puissent lui nuire. […] Il fait un froid terrible. Je
ne suis pas au bout de mes peines car les montagnes deviennent dangereuses à passer et j’ai ma grosse voiture. Enfn pour les petites
comme pour les grandes choses à la grace de Dieu »...
128.
HORTENSE DE BEAUHARNAIS
. L.A., [Augsbourg] 27 mai 1817 ; 3 pages in-8.
500/600
Départ de Constance et installation à Augsbourg (17 mai 1817). « Depuis que j’ai quitté mon pays ma vie a été des plus uni-
formes, tourmentée quelques fois par des gouvernemens soupçonneux bien injustement. Mais que tout cela est loin de toucher le cœur,
tu l’as bien deviné. Ce ne sont jamais ces grandes catastrophes dans les positions qui vous rendent à plaindre. Le monde vous accorde
alors de la pitié ; tandis qu’il vous envioit dans le tems où vous souffriez le plus. Les amis seuls connoissent les peines qui touchent, et
c’est pourquoi il est si doux d’en avoir, des amis, et si triste de les perdre. J’ai quitté Constance parce que le gouvernement trop foible
ne pouvoit m’y soutenir. Je me suis rapprochée du seul intérêt qui me reste, mon frère [Eugène]. Je viens de passer huit jours avec lui,
son beau-père [Maximilien I
er
de Bavière] a été parfait pour moi, me voici de retour à Augsbourg où je fxe ma résidence, ma vie est
sans intérêt, sans distraction, mais après avoir beaucoup souffert c’est un espèce de bonheur. Mon mari me promet pour cette été mon
fls, pendant quelques mois.
La bonne
chaleur de l’Italie l’incommode et moi j’en aurois bien besoin, mais je ne puis quitter un pays au
moment où je viens m’y établir pour tout à fait, je verrai comment ma foible santé pourra supporter l’hiver ici et je pourrai toujours
faire des voyages pour ce triste motif. Mais j’ai du penser avant tout à l’avenir de mes enfants, et j’espère que dans ce bon pays ils trou-
veront toujours tranquillité et protection ». Elle évoque le prochain mariage d’Alexandrine... « On dit que ta pauvre tante Campan
s’affoiblit beaucoup, il faudra donc petit à petit voir fnir tout ce qui nous a connu et aimé. C’est ce tems de l’enfance que nous avons
passé auprès d’elle que je prends plaisir à me rappeller le plus. Mais il faudroit s’arrêter là car la peine et les malheurs viennent tout
de suite après et n’ont jamais cessé ; c’est pénible de n’oser penser au passé, de ne rien désirer pour l’avenir, et quant au présent je ne
sais qu’en dire, je me lève le matin, sans mobile, sans intérêt, et sans mes enfants, je me dirois, à quoi sert ma vie ; quand le soir vient,
malgré les petites occupations dont je cherche à remplir la journée, je puis dire encore, rien ne s’intéresse à moi et je ne suis utile à
personne. Ah que j’envie le sort de toute femme qui possède une routine dans cette vie, heureuse dans son intérieur. […] Tu sais mieux
que personne qu’il n’a pas tenu à moi de ne pas trouver mon bonheur ou il est seul permis de l’espérer. Dieu m’est témoin que j’ai tout
fait et c’est encore une consolation qu’on ne peut m’ôter, c’est d’avoir usé toutes mes facultés à tacher de rendre heureux l’homme
auquel le sort m’avait uni [Louis Bonaparte]. Dieu veuille qu’il le trouve, ce bonheur, dans la religion ; mais pour moi je n’ai rien à
me reprocher, tu sais tout ce que j’ai souffert pour cela. Comme il est à la mode de s’amuser à mes dépends, tu sais sans doute qu’il a
paru un libelle horrible où l’on renouvelle ces propos qui m’ont fait tant de mal autrefois. On veut absolument me faire l’honneur de
me citer parmi les conquêtes de l’Empereur Napoléon, le pauvre homme il faut au moins lui rendre justice. Je ne puis même avoir eu
le mérite de la résistance, car il n’y a jamais pensé. Mais conçoit-on comme les choses méchantes, et qui n’ont aucune probabilité, se
propagent facilement. J’ai été à l’abbaye d’Einsilden et le bon prêtre que j’y ai vu, me disoit, les larmes aux yeux après avoir entendu
le récit de toute ma vie :
permettez-moi de répéter à tout le monde combien vous avez été calomniée
. Il étoit tout étonné lui-même qu’il n’y
eut aucune apparence à ce que tout le monde s’était plu à affrmer. Heureusement j’ai gagné beaucoup d’indifférence sur l’opinion du
monde, il est si léger […] Je tiens à l’opinion de mes amis et pour cela je n’ai rien à redouter »... Son fls Louis [le futur Napoléon III]
« est gentil ; mais toujours foible pour son âge »…
129.
HORTENSE DE BEAUHARNAIS
. L.A., [Augsbourg] 19 décembre 1817 ; 2 pages in-8.
400/500
Elle s’inquiète d’être sans nouvelles… « Si tu restes encore en Italie peut-être pourrions-nous nous voir l’année prochaine car j’ai
promis à mon mari de lui mener son fls, et je pourrai aller aux eaux et envoyer mon fls à Rome pendant ce tems. Je supporte assez bien
ce climat froid et c’est une grande grace. Mais après un hiver long, j’aurai bien besoin de me remettre un peu, et si je trouve de l’intérêt
près de toi c’est un bon moyen pour me faire du bien. Je passe la plus grande partie de la journée à dessiner puisque Garneray est ici. Je
veux en profter. Je pourrois à présent essayer ton portrait sans te faire trop laide. Tu vois que j’ai fait des progrets. Le soir je m’amuse
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