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1843
.
Dimanche 2 h. du matin
[
1843
]. Elle écrit une longue lettre pour réparer un silence de plus d’une
année... “L’intelligence s’éteint sous les larmes, l’injustice fait naître le doute, et le doute glace la voix
intérieure de la prière (...) le sentiment intime de l’innocence loin de nous fortifier nous irrite. (...) Comment
ne pas maudire ces hommes qui m’ont envié jusqu’à la gloire du martyre (...) ces hommes qui emprisonnent
nos corps dans leurs cachots, nos âmes sur leur terre, qui, pour assouvir leur vengeance, ont inventé pour
les victimes, l’agonie à perpétuité”... Elle décrit sa cellule, “quatre murs blancs et froids”, où elle n’a aucun
souvenir de ses amis. “Livrée à ma douleur, sans livres pour échapper à moi-même, sans papier sans plume
pour me réfugier auprès de mes amis (...) je ne savais plus pourquoi ? comment ? pour qui je souffrais, mais
une horrible angoisse pesait sur tout mon être comme un manteau de plomb, une tache brûlante souillait
mon front”... On a autorisé sa tante Collard et sa cousine Adèle à venir la soigner en prison... “l’opinion qui
à Montpellier avait été comme partout pervertie par les journaux a reconnu par la force des faits : on m’aime
on croit en moi (...) les égards et les respects ont succédé à la plus cruelle sévérité (...) ma
popularité
serait
enviée par plus d’un de nos petits grands hommes”. Elle a décidé d’écrire pour tenter “un peu de cet argent
qui donne du pain aux pauvres, qui guérit le malade, qui habille les petits enfants. (...) je sais que je serais
sans doute incapable d’écrire des ouvrages d’une longue portée, (...) mais serais-je beaucoup plus bête que
tous ces gens d’esprit, qui n’en ont pas beaucoup ?”. Elle demande à Marnier “un brevet de
bas-bleu
” et s’en
remettra à son jugement littéraire...
Mercredi minuit
, en faveur de son cousin qu’elle considère comme son
frère, les Collard étant devenue sa “vraie famille”...
Elle évoque son mariage et l’attitude de ses tantes maternelles, devenues Mmes de Martens et Garat :
“J’expie sans remords un crime imaginaire et jamais ma conscience n’a été plus pure que maintenant que
ma réputation est flétrie (...) Je pardonne à ceux qui m’ont condamnée par ignorance, à ceux même qui
m’ont sacrifié à
leur fortune
ou à
leur honneur
, mais contre l’oubli des miens, contre cette lâche désertion,
de gens qui m’ont
vendue
, qui ont été fouiller les annonces de tous les journaux, les affiches, les bureaux de
placement, pour me forcer à prendre un mari alors que j’étais libre, heureuse, honorée (...) Oh, à ces sœurs
de ma mère, à ces compagnes de mon enfance, à ces hommes qui ont serré la main de mon noble père, je
ne puis pardonner”...
1847
. Elle adresse ses vœux de bonheur à Julie Marnier, jeune mariée qui offrira peut-être à son père la
douce dignité d’être grand-père, avant de recommander une nouvelle fois son cousin Édouard dont la santé
est gravement compromise par son service en Afrique.
En prison ce 1
er
septembre 1847
. Elle dresse le portrait
physique et moral de Marnier qu’elle imagine grand, digne mais non empesé : “Vous auriez été courtisan
à Austerlitz et à Ste Hélène, frondeur aux Tuileries et à Saint-Cloud”. Son ton se fait mélancolique en
évoquant l’idéal et les rêves, nécessaires pour supporter les déceptions et les désillusions. “Il y a des gros sous
à l’origine de toutes les richesses et des rides à la fin de tous nos amours – fermons nos yeux ! Voyons y clair
au fond de nos consciences, voyons y trouble à la surface de nos bonheurs car nul n’a droit de planter sa tente
ici bas”... Elle parle des généraux Daumesnil et Cubières, des milles raisons “d’être un peu orgueilleuse
de tant souffrir et quoique femme de souffrir debout !”, du mariage de son amie Pauline qu’elle croyait,
à tort, liée avec Marnier... Elle remercie Marnier qui a obtenu la mutation d’Édouard Collard près de
Montpellier, puis évoque d’un ton vibrant la figure homérique de Napoléon qui lui semble “la déification
du génie moderne”, avant d’affirmer ne plus croire à la voix du sang mais bien à la sainte parenté des âmes.
Elle reçoit de nombreuses manifestations d’intérêt, on lui fait porter des fleurs, des oiseaux, on chante sous
sa fenêtre... [
25 septembre 1847
], au docteur Bancal à qui elle demande son soutien et de faire connaître
sa cause à Bordeaux en revenant sur les conclusions d’Orfila pendant le procès... “Mes fers ne pèsent pas
sur ma pensée mais ils étouffent ma voix. A cette heure j’ai 5 volumes prêts à être mis sous presse. Ils ne
reviennent pas sur l’arrêt de la loi. Ils laissent au tems le soin de prouver mon innocence par l’éclaircissement
des faits obscurs jusqu’ici. Ils apprennent seulement à connaître celle qu’on a voulu monter infâme (...) pour
qu’ils vivent il faudra sans doute que je meurs (...) Ma mémoire sera sauvée mais je n’espère pas revivre”.
Elle le prie de lire attentivement la lettre qu’elle a écrite un an auparavant au docteur Orfila “sur la question
de la médecine légale de mon procès (...) Les accusés ont reçu de la charte des garanties contre la justice
quelque fois passionnée des magistrats. Il y a le jury qui décide en dernier ressort. Il faut une majorité.
On entend des témoins pour ou contre. Pourquoi la science seule serait-elle regardée comme infaillible ?...
Pourquoi un homme seul déciderait-il en maître de vie et de mort ! Les expertises légales sont presque
toujours incomplètes (...) Dans mon procès on a négligé d’analyser les réactifs, cependant ils peuvent être
impurs et contenir de l’acide arsenicaux. On a négligé d’obtenir l’anneau d’arsenic et cependant déjà en 1835
M. Orfila écrivait qu’il était utile de l’obtenir pour se fixer (...) Dans mon procès
une
expérience affirmative
a prévalu contre
deux
expériences négatives. Trois chimistes de Limoges ont suspecté la pureté du nitrate
de potasse (...) Je ne veux pas élever un doute sur la bonne foi et le savoir de M. O. mais je proteste contre la
légèreté et l’irrégularité de pareilles manières d’opérer... Je protesterai toujours !”...
1848
. [
13 mars 1848
]. Révolution de février 1848. “Il semble que Dieu jaloux des Lamartine et des
Louis Blanc ait voulu, lui aussi, écrire en caractères humains et palpitants, sa grande, son héroïque histoire
de la révolution. Quel spectacle pour l’Europe ! (...) La victoire est un triomphe sans luttes de la fraternité
et de la paix sur la corruption et la violence”... Pour elle le miracle vient de Dieu, puisque le peuple a vaincu
sans avoir de chef. À Montpellier, “le 25 au soit il n’y avait que 300 républicains (...) le 26 au matin, tous les
bonnets de coton étaient devenus des bonnets rouges. Les femmes chantaient la Marseillaise, les hommes