Le Maître de Spencer 6 est caractérisé par des partis-pris iconographiques notoires, avec le recours fréquent aux
plans rapprochés
(le « dramatic close-up » étudié par Sixten Ringbom qui permet de concentrer le regard du spectateur
et encourage la dévotion et la méditation) : les présentes Heures contiennent les très beaux portraits de la Vierge à
l’Enfant avec un oiseau en plan rapproché (fol. 105 ; cette peinture fait écho à celle trouvée dans les Heures Spencer 6
au fol. 156v), et celui de Marie Madeleine (fol. 139) avec son regard qui trahit la couleur bleue de ses yeux.
Le traitement du calendrier avec les grandes scènes des travaux des mois face au texte du calendrier est tout à
fait original et spectaculaire. Il reprend le parti-pris trouvé dans les Heures de la Spencer Collection,
mais les
sujets traités diffèrent, tout comme le traitement des signes du zodiaque. La mise-en-page toutefois est reprise entièrement
de la même manière et ce calendrier est clairement sous l’influence de la mise-en-page des calendriers des grands chefs
d’œuvre telles les
Très Riches Heures
du duc de Berry, demeuré inachevé et repris par Jean Colombe : « Knowledge
(via drawings or at least by gossip) of that illustrious book of hours and its unusual beginning – full-page calendar
miniatures with lustrous landscapes and many castles – must have circulated in Colombe’s workshop. The calendar
miniatures in Spencer 6 are a result of that knowledge » (
Splendour of the Word
, 2005, p. 281). Le Maître de Spencer 6
affectionne particulièrement le traitement des détails vestimentaires pittoresques et au goût du jour : notre manuscrit
offre un florilège de vêtements et tenues à la mode, qui laisse poindre l’influence de la mode italienne introduite en
France. On a relevé la connaissance du Berry de l’artiste, démontrée par les vues exactes par exemple du château de
Mehun-sur-Yèvre dans le manuscrit de la Spencer Collection : une étude des représentations architecturales des présentes
Heures s’impose et permettra sans doute des identifications semblables locales en Touraine ou dans le Berry. On signalera
par exemple les châteaux représentés en arrière-plan au calendrier, mois de novembre (fol. 12v), dans la miniature de
Bethsabée au bain (fol. 63v), dans le diptyque de l’Annonciation (ff. 23v-24 ; faisant écho au diptyque des Heures
Spencer 6, fol. 32v-33) et la très belle structure de puits dans le diptyque d’Adam et Eve face au Christ (fol. 1v-2 ;
faisant écho au diptyque « Adam et Ève chassés du Paradis » des Heures Spencer 6, ff. 1v-2)). Notons que les présentes
Heures et celles de la Spencer Collection commencent toutes deux non pas directement par le calendrier mais par un
diptyque saisissant figurant Adam et Ève, dans un cas devant le Christ (ici ff. 1v-2) et dans l’autre cas Adam et Ève
expulsés du Paradis par un ange (New York Public Library, Spencer Collection, MS 6, ff. 1v-2).
La composition des deux livres d’heures est semblable. Ils sont peints dans le même esprit (en anglais on parlerait
de « sister manuscripts ») mais les « Heures G et H » sont dotées d’un cycle plus développé.
Les travaux récents de K. Airaksinen-Monier (« Le Maître de Spencer 6 et ses commanditaires voyageurs » (2018)) ont
relevé dans les Heures Spencer 6 une prédilection pour le monde du voyage et de la vènerie. Notre livre d’heures présente
aussi des vues avec des bateaux (ff. 14v, 93), un intérêt pour la chasse et notamment au faucon ou à l’épervier (ff. 3v, 9v,
12v, 13v) et pour l’exotisme en général (fol. 59v avec une scène figurant Joseph cueillant des dattes dans une Fuite en
Egypte revisitée ; fol. 50 avec la rencontre des rois mages dont l’un chevauche un éléphant. On citera Airaksinen-Monier
(2018) : « L’artiste de Bourges compose ses images en fonction de ses commanditaires, en y intégrant des préoccupations
contemporaines avec une compétence incontestable. Son imagination est inspirée par des nouveautés dans le monde
vestimentaire et l’art italien, des voyages outre-mer et par les croisades contre les Turcs... [...] Ces livres éclairent bien
le milieu pour lequel travaillait le Maître de Spencer 6. Ses commanditaires étaient des hommes de lettres, des hommes
politiques et des marchands qui voyageaient fréquemment, particulièrement en Italie. Ce sera probablement dans le
même entourage qu’on trouvera un jour le commanditaire du livre d’heures éponyme à New York... ».
Airaksinen-Monier distingue dans le manuscrit de New York deux intervenants responsables des miniatures
: il
conviendrait de départager aussi deux mains du même atelier dans les présentes Heures, avec deux registres de finition
(Airaksinen-Monier distingue dans l’atelier du Maître de Spencer 6 un artiste A et un artiste B et redistribue les
manuscrits attribués au Maître de Spencer 6 entre ces deux mains).
La redécouverte des présentes Heures permettra une comparaison approfondie entre les deux chefs d’œuvre de l’artiste.
Dans les présentes « Heures G et H », nous avons bon espoir qu’il sera possible de lever le mystère et d’identifier la
devise, « jusques a ce » les initiales G et H et les armoiries de l’élégant commanditaire figuré en prière (fol. 93) avec
des embarcations au loin qui invitent au voyage...
TEXTE
ff. 2v-14v, Calendrier, en français, à l’encre rouge et brune, avec les saints suivants : Guillaume (10 janvier, en rouge) ;
Sulpice et Antoine (17 janvier, en rouge) ; Vincent (22 janvier, en rouge) ; Nicolas (9 mai, en rouge) ; Translation de
saint Martin (4 juillet) ; Invention des reliques de saint Etienne (3 août) ; Laurent (10 août, en rouge) ; Martin
(11 novembre, en rouge) ; Nicolas (6 décembre, en rouge) ; Ursin (30 décembre) ;
ff. 15-17v, Péricopes évangéliques
ff. 17v-20,
Obsecro te
, désinence masculine « Et michi famulo tuo... » (fol. 19) ;
ff. 20-21,
O intemerata
;
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