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Livres et Manuscrits
RTCURIAL
14 juin 2017 14h. Paris
Bernard Pivot et Hervé Poulain, 19 juin 1990
Décors
de l’émission « Apostrophes »
Pour la 724
ème
et dernière émission
de Bernard Pivot, Paribas organisa
une fête, autour de l’Orangerie du
siège de la banque, en roulant le tout
Paris du spectacle, des lettres et des
médias. Pour achever la soirée un
gâteau d’anniversaire factice, porté
par 11 comédiens et écrivains dont le
nom commençait par une des lettres
de l’émission, annoncé la vente aux
enchères des décors réalisés par
Michel Millecamps, au bénéfice de la
Bibliothèque Nationale.
J’étais au marteau et cela tombait
bien car j’avais eu le privilège d’être
l’invité de Pivot à plusieurs reprises,
la première fois en 1974 alors que
l’émission s’appelait encore «Ouvrez
les guillemets» pour parler de mon
livre l’Art et l’Automobile soit de
Toulouze-Lautrec à Andy Warhol,
l’histoire de l’art du 20
e
siècle, guidée
par le file d’Ariane de son objet
symbolique : l’Automobile.
Au temps du Machinisme disais-je,
une carrosserie et un 12 cylindres
pouvaient procurer davantage
d’émotions esthétiques que les thèmes
traditionnels le Nue, les Natures
Mortes et les Pommes chers à Renoir,
Monet et Cézanne. Malgré la
nouveauté du propos, Salvador Dali,
me vola le prix de la provocation en
délirant comme un «fou» en duplex
depuis sa suite à l’Hôtel Meurice.
J’évoque ce souvenir parce que
visitant l’exposition des collections
de l’avocat Pierre Hebey, dispersées
par Artcurial l’an passé, Bernard
Pivot m’a révélé un aspect ignoré de
l’intervention du génial surréaliste.
Le «maitre» avait accepté de
participer à la condition qu’un
éphèbe «nue et bandant» traverse le
plateau en direct. Mais au moment
d’apparaître, sans doute intimidé,
le pâtre grec perdit tous ses moyens
et s’esquiva…
qu’il put être le héros de la fête. Il
avait l’air naturel comme seul est
capable un homme qui a répété son
rôle de convive de passage, Bonjour,
Ca va ?
Une plaisanterie, un mot aimable.
L’hommage à Pivot se passait sans
lui (…). Enfin on vendit les décors
de l’émission, les fauteuils et la table
basse de Starck. À peine sorti des
studios, les voila devenu monument
tant il est vrai que notre temps se
fabrique de la mémoire comme pour
oublier qu’il a peu de souvenir. Si le
point virgule disparait l’apostrophe,
elle, rapporte. Le tout sous la houlette
espiègle et efficace d’un commissaire
priseur, lui aussi à la fête. »
Renaud picolait, exclusivement. Pas
étonnant qu’il ait omis de mentionner
que la littérature nourrit son homme
en décrivant les buffets de Potel et
Chabot offrant les créations des
grands chefs lyonnais : la terrine
de poularde de Bresse au foie gras
de Georges Blanc, la terrine de
tête de veau à la tomate de Pierre
Une autre fois, Pivot me convia
à propos des vols c’œuvres d’art.
Paradoxalement, je n’avais
pas grand-chose à dire. Si les
commissaires priseurs ont tout
à craindre des faussaires, en
revanche, ils redoutent moins les
voleurs d’objets car la publicité des
ventes, l’édition des catalogues, les
expositions où peuvent se rencontrer
voleurs et volés, volés et objets,
constituent le mode d’écoulement
le plus risqué pour les monte-en-
l’air. Je racontai une histoire que je
tenais d’Adrien Maeght. Au milieu
des années 50, le premier fric-frac
significatif de tableaux eut lieu à la
Colombe d’Or, la fameuse auberge de
Saint-Paul-de-Vence. Le lendemain
Aimé Maeght et Marc Chagall
constatèrent que les Picasso, les Miro,
les Picabia, toutes les toiles avaient
disparu sauf une, celle de Chagall/
Le peintre pleurnichait : «Aimé,
pourquoi n’ont-ils pas dérobé mon
tableau ? Ces gens n’aiment pas mon
travail !» A bout d’arguments, le
marchand lui fit remarquer que son
œuvre était un très grand format,
probablement trop encombrante. Et
le peintre, inconsolable : «Peut-être,
mais ils auraient pu la plier»…
Renaud Matignon relata dans le
Figaro du 20/06/90 la vente des
décors d’ Apostrophes, sous le
titre « La fête pour un décès » :
« Au siège de Paribas, sanctuaire
de la haute banque et cathédrale
d’auguste conseil d’administration,
de gestion et de surveillance, hier
quelques 2000 invités ont fêté la
mort d’Apostrophes, la célébrissime
enfant d’antenne 2 qui fera sa
dernière apparition sur nos petits
écrans vendredi. (…) C’est une
réception de star, toutes les gloires
du moment était là (…), rien chez
Bernard Pivot ne laissait soupçonner
Troisgros, l’oreiller de la belle Aurore
de Fernand Point repris par Paul
Bocuse et le plat d’Alain Chapel…
Je fis mon boniment : «Amis des
arts, vous pouvez acquérir ce soir les
décors de la chapelle Sixtine de la
littérature, seul monument historique
qui n’est pas classé.»
Bernard Pivot adjugea le dernier lot :
«Je suis heureux que ce qui était en
quelque sorte la couverture du livre
Apostrophes, ou l’autre costume de
son animateur, continue de vivre
ailleurs, de respirer, de se souvenir,
tandis que l’argent ainsi récolté ira
s’investir dans le livre. Tout est bien :
les livres ont produit un décor, le
décor produit des livres, tout est bien
qui finit bien.»
Les amis de la Bibliothèque
nationale consacrèrent les
560 000 francs obtenus à l’achat de
plusieurs manuscrits de Boris Vian.
Hervé Poulain,
Le Marteau et son Maître,
Plon, 2010