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les collections aristophil
Si Joris-Karl Huysmans (1848-1907) n’a pas
eu de son vivant la réussite d’un Zola ou
d’un Maupassant en librairie, il connut en
revanche un succès durable entretenu par
un cercle d’amis et d’admirateurs fidèles
et fervents, qui aimaient et qui aiment
encore aujourd’hui aussi bien l’homme que
l’écrivain. Le romancier Lucien Descaves
(1861-1949) fut l’un de ceux-ci, sans doute
le premier. Il rencontra Huysmans en
1882 et le considéra tout de suite comme
son maître mais la reconnaissance était
réciproque. Huysmans porta d’ailleurs ce
jugement flatteur à l’encontre du jeune
écrivain qu’était alors pour lui Lucien
Descaves, publié dans un article paru dans
Les Hommes d’aujourd’hui
en 1889 :
«En
littérature, les écrivains qui débutent
nous habituent maintenant à d’inénarrables
désillusions, s’ils se sont tout d’abord
révélés comme étant de vrais artistes.
Un livre paraît, signé d’un nom inconnu ;
par extraordinaire il ne pastiche point les
proses antérieures, divulgue des qualités
de détails ou d’ensemble, arbore un style
sans filiation adultérée qu’on reconnaisse ;
aussitôt des avances sont faites, dans le
monde des lettres, au débutant ; l’on attend
avec impatience son second livre.
Il paraît et s’effondre. C’est généralement
une dilution du premier, une ressucée des
passages que l’on vanta. L’on diffère son
jugement jusqu’à l’apparition du troisième
livre ; ou il ne vient pas, ou alors il rabâche,
en s’aggravant, les deux autres. L’auteur
s’est mué en un simple gargotier qui remet
de l’eau dans son bouillon à mesure que sa
lavasse s’épuise.
Et c’est la caractéristique de la génération
d’aujourd’hui, cette impuissance absolue
de faire deux ou trois livres. Ils sont vidés
d’un coup ces gens que l’on supposa
pleins ; ils ont tout lâché dans leur première
œuvre ; ils n’ont plus désormais rien à nous
apprendre, rien à nous dire.
Eh bien, il en est un parmi ces jeunes,
Lucien Descaves, qui a tenu les promesses
qu’il apportait ; celui-là, par conséquent,
figure dans les lettres du temps comme un
être à part. »
La proximité entre les deux écrivains fut
telle que Huysmans nomma Descaves
son exécuteur testamentaire avec comme
instruction, que rapporte Maurice Garçon
dans le numéro 21 du
Bulletin de la Société
J.-K. Huysmans
, de « ne laisser paraître
aucun inédit susceptible de près ou de loin
de porter atteinte à sa mémoire. » Durant
toute sa vie il s’attacha ainsi à honorer
la mémoire de son maître ; il rassembla
des études et des préfaces de Huysmans
dans
En marge
(1927), il lui consacra une
biographie sous le titre
Les Dernières
années de J.-K. Huysmans
(1941), édita ses
œuvres complètes chez Crès (1928-1934) et
surtout il créa et présida dès 1927 la Société
J.-K. Huysmans, encore existante de nos
jours.
La collection que nous proposons ci-
après est composée de 15 ouvrages
provenant de la bibliothèque de Lucien
Descaves, dont 14 titres de Huysmans, tous
dédicacés, et 2 volumes réunissant les 15
premiers numéros du
Bulletin de la Société
J.-K. Huysmans
, exemplaire personnel de
Descaves, truffé de lettres autographes, de
manuscrits et de documents divers. Au vu
de la relation fraternelle qu’entretenaient
ces deux grands écrivains, on peut aisément
considérer ces exemplaires comme étant
d’une grande valeur bibliophilique.
On trouvera à la suite 3 autres titres de
Huysmans dédicacés au docteur Crespel,
médecin du président Loubet et de
l’auteur. C’est lui qui examina Huysmans au
rayon x et qui décela le cancer qui devait
l’emporter. Il était également le beau-frère
de Lucien Descaves.