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qui ne pouvais être fatigué d’un divertissement qui n’a de manifestation que tous les trois cents ans, je me tenais

attentif de l’ouïe et de la vue ; surtout de la vue, pour ce que ce sens est mieux disposé pour la dégustation d’une

éclipse qu’aucun des autres. Aussi me tins-je au premier rang, attendant l’arrivée. Depuis la première heure du jour, le

Soleil était en l’air, à sa place habituelle. Il semblait qu’il ignorât ce qui allait lui venir. Autour de moi le silence ; silence

interrompu par la forte voix de Madame Geng [patronne du bistrot d’Arcueil où Satie déjeunait] : – “Mais, monsieur

Sadi, je ne vois rien. Vous voyez quelque chose, vous ?” Elle avait raison, la brave Dame. Il est utile de dire qu’elle était

en avance de plusieurs heures. Impatience touchante et excusable. Enfin, mon ami, le tour astronomique s’accomplit

avec sûreté, avec méthode. Alors, puissamment, Madame Geng : – “C’est tout ça ?.... Vous direz ce que vous voudrez,

monsieur Sadi, mais si c’est pour ça que les journaux ont fait toutes leurs histoires !....” […]

Moi, mon vieux, je suis très mécontent de mon année. Tout a raté. C’est bien agréable ! Je suis en train de préparer

ma rentrée. Qu’est-ce que cela donnera ? Je me le demande avec obstination ». Il rappelle à son ami la promesse

d’une avance : « Mon pauvre vieux, vous voyez devant vous un bougre qui n’est pas très heureux ».

Il demande des nouvelles de Fernand, frère de Louis, et de ses « petits mouchetrions », ajoutant cette note à l’encre

rouge : « Mouchetrion est un mot de l’industrie de Madame Geng. Elle l’emploie fréquemment. Il a bon air. » Puis il

parle de son éditeur musical Jean

B

ellon

qui « est en Suisse, avec une autre femme que la sienne. C’est Mademoiselle

Devillers [la chanteuse Raphaële de Villers] qui se dévoue à ce remplacement. Madame Bellon ne l’aime pas. Elle

lui reproche de lui retirer l’amour de son mari et surtout l’argent que celui-ci met de temps en temps dedans le

portefeuille qu’elle lui a donné pour sa fête. La maison d’édition est entre les mains de monsieur Ponscarme. Je n’y

suis pas bien vu »...

Correspondance presque complète

, n° CXV.

250.

Erik SATIE

. L.A.S. «

A

ir

-I

ksati

ES » (monogramme à l’encre rouge), Arcueil 13 novembre 1905, à son ami le

Dr Louis

L

e

M

onnier

; 3 pages in-8.

1 000/1 500

A

musante

demande

d

argent

.

« Mon bon Monsieur Louis – Mon élève d’Amérique vient de partir pour une contrée étrange : l’Italie. Me pourriez-

vous envoyer 200 (deux cents) francs ? Pardonnez-moi si j’abuse de votre amitié, mais j’en ai fortement besoin. Je me

suis entièrement vêtu de costumes somptueux, grâce à votre avance du mois dernier, et ai payé quelques dettes. Et

voilà ! »…

Il donne des nouvelles de personnes d’Arcueil : « Monsieur Tonare est décongestionné magnifiquement. C’est l’Eau-

de-vie allemande qui a fait ce miracle. Monsieur le Docteur Durand lui en avait ordonnancé une dose opulente qui fit

merveille, le faisant rendre du haut et du bas. Aussi, s’en est-il senti plus frais. Je viens de l’apercevoir. Il agitait un tapis

poussiéreux au devant de sa maison. Madame Geng [son aubergiste] m’a donné, ce matin, un plat de moules de sa

façon. Hier, elle m’en avait touché deux mots ; aussi, ai-je été heureux de ce mets, bien que je m’en trouve légèrement

alourdi. Madame Geng ignore la mesure : nous étions trois à table, ses moules eussent rassasié vingt personnes.

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