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« Étonne-moi ! », lui disait Diaghilev. Cocteau n’a pas fini de nous
étonner et de nous enchanter, comme on le verra à la lecture de
ce catalogue, qui inventorie et révèle bien des trésors inconnus, la
plupart provenant de la collection de Carole Weisweiller et de sa mère
Francine Weisweiller, fidèle soutien de Cocteau qu’elle accueillait
souvent dans sa villa de Santo Sospir.
« Je suis sans doute le poète le plus inconnu et le plus célèbre »,
écrivait-il dans Journal d’un inconnu. En effet, le personnage a trop
souvent éclipsé le poète ; l’abondance et la diversité de son œuvre
ont parfois caché l’œuvre elle-même. Œuvre conçue le plus souvent
dans la douleur et dans une solitude difficile à conquérir au milieu des
foules mondaines qui se pressaient autour de lui – maigre consolation
au regard de l’hostilité de beaucoup de ses pairs. Œuvre multiple et
protéiforme, mais toujours placée sous le signe de la Poésie, comme
en témoigne la liste de ses œuvres ordonnée en : Poésie, Poésie de
roman, Poésie critique, Poésie de théâtre, Poésie graphique, Poésie
cinématographique.
Chacune de ces facettes est admirablement représentée ici, à
commencer par la Poésie, depuis les manuscrits de ses deux premiers
recueils, désavoués ensuite (est-ce l’image du « Prince frivole » qu’il
voulait exorciser ?) mais déjà révélateurs de ses dons, jusqu’à un
des derniers, Clair-obscur. Après les premiers recueils aux brillantes
facettes, est venue l’expérience de la guerre avec la disparition d’amis
chers et la rencontre avec la Mort, qui accompagnera dès lors
Cocteau de sa présence redoutée et familière. On mesurera, dans
cette masse de brouillons, l’incessant labeur du poète pour parvenir
à « décalquer l’invisible ».
Le dramaturge est évoqué par les manuscrits de plusieurs œuvres
majeures, dans des genres divers : Orphée, La Machine infernale, Les
Parents terribles, et Bacchus ; le romancier avec le tapuscrit corrigé
des Enfants terribles. À côté de pages du critique et de l’essayiste,
on signalera le monumental manuscrit de La Difficulté d’être, livre à
la fois de souvenirs, d’introspection intime et d’essais à la Montaigne.
Cocteau trouvera dans le jeune cinématographe un outil idéal pour
la traduction de son univers onirique, créant quelques-uns de chefs-
d’œuvre du Septième Art, qu’il commente ici à travers de nombreux
textes. Des dessins témoignent de la poésie graphique de Cocteau,
au trait sûr allié à un œil vif.
Cocteau est un épistolier infatigable, chaque lettre est une pépite.
Parmi de nombreuses lettres, qu’accompagnent quelques-unes de
ses pairs, on retiendra les deux correspondances intimes avec des
femmes : celle tendre et affectueuse (et probablement aussi un peu
intéressée) avec Marie Scheikévitch, et les lettres d’amour à la belle
Natalie Paley. Les nombreuses dédicaces à Jean Marais témoignent
de l’amour qui lia le poète au comédien.
Cocteau n’a pas fini de nous étonner.
Thierry Bodin
JEAN COCTEAU
(1889-1963)
CATALOGUE N° 27