Mémoires de Chateaubriand aux enchères : le commissaire priseur innocenté
Mémoires de Chateaubriand aux enchères : le commissaire priseur innocenté.
La formation disciplinaire du conseil des ventes volontaires n’a retenu aucune sanction contre Éric Beaussant, après lui avoir reproché d’avoir mis en vente le manuscrit avec « un soupçon de légèreté ».
Son honneur est sauf. Après de longues semaines d’attente qui ont suivi son audience devant la formation disciplinaire du Conseil des ventes volontaires , à Paris, le 27 novembre, le commissaire priseur Éric Beaussant a été lavé de tout soupçon. Il lui était reproché d’avoir mis aux enchères le manuscrit des Mémoires d’Outre-Tombe de Chateaubriand avec légèreté. «Votre saisine repose sur les droits et devoirs fondamentaux du commissaire priseur de faire diligence sur l’origine de l’objet, sur sa description et votre devoir d’alerte», lui avait indiqué le commissaire du gouvernement lors de l’audience, proposant un avertissement. La décision du Conseil lui a été signifiée: Éric Beaussant n’a commis aucune faute et n’encourt donc aucune sanction.
Aux sources de ses déboires: la vente du manuscrit des Mémoires de Chateaubriand, estimé 400.000 à 500.000 euros, qui a défrayé la chronique il y a un an. Le 26 novembre 2013, cette unique copie intégrale connue de l’œuvre de l’écrivain, 3514 pages subdivisées en 42 livres reliés en dix volumes, était retirée in extremis d’une vente aux enchères de la maison Beaussant-Lefèvre, à Drouot. La veille, le commissaire du gouvernement avait saisi la présidente du Conseil des ventes d’une interdiction partielle des enchères pour retrait du document. La Bibliothèque nationale de France (BnF) avait fait savoir qu’elle s’en portait acquéreur. Mais l’achat n’avait pu être conclu, comme le révélait Le Figaro du 27 novembre 2014.
«Le conseil des ventes a été sage et courageux»
Guillaume Henry, avocat du commissaire priseur Éric Beaussant
«Le conseil des ventes a été sage et courageux», se satisfait maître Guillaume Henry, l’avocat du commissaire priseur, spécialiste du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle. Devant la formation disciplinaire, Éric Beaussant, sans une ombre au tableau en trente ans de métier, s’est défendu avec panache. À sa gauche était assis son associé Pierre-Yves Lefèvre. À sa droite son avocat, qui l’avait invité à prendre la parole avant sa propre plaidoirie, qui serait longue et minutieuse. Aucune des parties ne demanda le huis clos. Cette audience s’annonçait passionnante, d’ores et déjà inscrite dans une liste historique de procès entourant les Mémoires, dont le premier remontait à 1848, année où la presse commença à les publier en les «feuilletonnant» dans ses colonnes, au grand dam de l’écrivain qui «s’opposait à ce brocantage», rappela le commissaire du gouvernement.
Éric Beaussant, pour sa défense, rembobina méthodiquement le fil de la préparation de la vente, depuis le premier coup de téléphone de Pascal Dufour, petit-fils et successeur de Cahouët, notaire de l’éditeur de Chateaubriand. «Il détient ce manuscrit dans son étude depuis 1847 par succession. Ce document est connu, il a été identifié et étudié par tous les services de l’État, les chercheurs». Éric Beaussant a consacré six pages au sujet dans son catalogue de vente, ce qui est rare. Dès le début, le dossier lui a paru si complexe qu’il a requis l’avis d’un des meilleurs experts, Alain Nicolas, régulièrement consulté par les Archives nationales. Ce dernier va s’interroger sur cette copie du notaire Cahouët, seule intégrale qui subsiste. En tête du manuscrit figure le contrat d’édition passé devant le notaire. L’expert a passé au crible l’introduction de la Pléiade par Maurice Levaillant, qui y fait référence. «Nous n’avons pas jugé nécessaire de faire une recherche au minutier central des notaires de Paris, car à la lecture du travail Maurice Levaillant, celui-ci l’avait manifestement fait», note Éric Beaussant.
«Il n’a pas toujours été question de vendre le manuscrit. Une proposition de dation a été faite à l’État, qui n’a pas été relevée»
Éric Beaussant, commissaire priseur
Le diable se cache dans les détails. Scrupuleux, le commissaire priseur le traque, le débusque. Son avocat portera l’estocade. Cette copie manuscrite est-elle une archive publique? Le commissaire priseur a déposé une demande de certificat de libre circulation. «C’était notre manière de révéler aux autorités publiques notre projet de vente», dit-il. Les autorités ont quatre mois pour se prononcer sur la validité de son projet. Elles attendent, jusqu’à trois semaines avant la vente, pour imposer une vérification page après page du document qui en compte 3514: l’archive est bien privée. Mais six jours avant le premier coup de marteau, elles consultent les Archives nationales, qui le classent Trésor national. Coup de massue: «Le document pouvait toujours figurer dans notre vente mais plus sortir du territoire». Le commissaire priseur ajoute, pressentant son importance: «Il n’a n’a pas toujours été question de vendre le manuscrit. Une proposition de dation a été faite à l’État, qui n’a pas été relevée».
Reste à répondre à une question fondamentale pour sa profession: à quel titre le notaire Dufour détenait-il ce manuscrit? Dans les tous derniers jours précédent la vente, les autorités publiques opposent un vice sur la possession du manuscrit. Le problème, c’est que Chateaubriand avait demandé, par contrat puis par testament, que tous les écrits à l’exception de sa propre copie soient «brûlés» après sa mort. Le notaire a sauvé un manuscrit. Est-ce que cela fait de lui son propriétaire et non plus son dépositaire? Lors de l’audience, le commissaire du Gouvernement a fait cette réflexion: «C’est comme si un pompier ayant sauvé une maison disait ‘elle est à moi’». Le CVV n’a pas à trancher sur ce point. Un volet pénal est en cours contre le notaire. Et le manuscrit sous scellé judiciaire chez Beaussant-Lefèvre.
«Il n’a pas été pas démontré que le commissaire priseur n’avait pas mis en œuvre toutes les diligences appropriées»
Pierre Taugourdeau, secrétaire général adjoint du Conseil des ventes volontaires
Le commissaire priseur s’est forgé son intime conviction: «La copie du notaire Cahouët n’a jamais été réclamée depuis cette époque. Madame de La Tour du Pin, épouse du descendant de l’héritier de Chateaubriand, qui se trouve être une cousine de l’épouse de maître Dufour, lui a dit par téléphone qu’elle comprenait parfaitement la décision qu’il avait prise de vendre ce manuscrit». Jean Dufour a «de bonnes raisons de se considérer comme légitime propriétaire», et lui même de ne plus en douter.
À la fin il s’enflamme. Éric Beaussant a été brillant. Un lourd silence suit son discours. On voudrait l’applaudir mais ce n’est pas un spectacle. Il est sur la sellette et vient de tout donner. Comme si toute sa vie en dépendait. Il faut comprendre: le marché de l’art repose sur la confiance. La formation disciplinaire du Conseil des ventes volontaires a été convaincue de son «comportement exemplaire». Pierre Taugourdeau, secrétaire général adjoint du Conseil précise: «Il lui était reproché de ne pas avoir indiqué l’origine du manuscrit. Or, un catalogue de vente n’indique jamais le vendeur. Et le Conseil a jugé qu’il n’était pas démontré que le commissaire priseur n’avait pas mis en œuvre toutes les diligences appropriées».
De quoi rassurer le commissaire priseur, dont l’étude Beaussant-Lefèvre affiche un bilan positif pour 2014 de 20, 31 millions d’euros, en progression de 13,9 % par rapport à 2013.
Ref :
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- Le Figaro. Par Valérie Sasportas
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