Lot n° 342

Manon Phlipon, Madame ROLAND (1754-1793) l’égérie des Girondins ; femme (1780) de Jean-Marie Roland de la Platière (1734-1793), elle fut guillotinée.Lettre autographe signée de son paraphe, [prison de Sainte-Pélagie mi-octobre 1793], à Jany...

Estimation : 4 000 / 5 000
Adjudication : Invendu
Description
[surnom du géographe Edme Mentelle] ; 4 pages in-8.Très belle lettre, une des toutes dernières, où Madame Roland confie les cahiers de ses Mémoires et le secret de son amour pour Buzot.« Votre douce lettre, cher Jany, m’a fait autant de bien que votre aimable causerie. La tendre pitié est le vrai baume du cœur malade. Je sens la délicatesse qui vous fait répugner à l’idée de publier jamais mon secret ; cette délicatesse, pour autrui, m’auroit empêchée de le confier au papier s’il n’eût été deviné et travesti. Quant à moi, personnellement, je ne tiens absolument qu’à la vérité ; je n’ai jamais eu la plus légère tentation d’être estimée plus que je ne vaux ; j’ambitionne que l’on me connoisse ce que je suis, bien et mal, ce m’est tout un. J.J. [Rousseau] ne m’a jamais paru coupable par ses aveux, mais seulement répréhensible de deux faits, qui ne sont point dans la nature, l’attribution, à la pauvre Marie, du vol du ruban ; et l’abandon de ses enfans à l’hopital. Quant au blâme de la tourbe indiscrète et légère, on ne l’évite jamais dès qu’une fois on a excité l’envie ». Elle en vient à son amour pour Buzot et à la jalousie de son mari : « Sans prétendre m’excuser, je suis convaincue que la jalousie du malheureux R. [Roland] a seule fait percer mon secret par des confidences multipliées, en même temps qu’elle m’a inspirée, par momens, des résolutions violentes. Croiriés-vous qu’il avoit fait des écrits là-dessus, avec tout l’emportement et les faux-jours d’un esprit irrité qui déteste son rival et voudroit le livrer à l’exécration publique ? et que je n’ai obtenu, que depuis peu, que ces écrits empoisonnés fûssent brûlés ? Concevés-vous combien leur existence m’enflammoit d’indignation d’une part, et alimentoit de l’autre le sentiment même dont je voyois maltraiter si injustement l’objet ? Oui, vous l’avés vu, vous le dépeignés bien ; vous trouverés son portrait peint, et aussi écrit, dans certaine boîte qu’on vous remettra ; c’est ma plus chère propriété, je n’ai pû m’en défaire que dans la crainte qu’il soit profané. Conservés-les bien, pour les transmettre un jour ». Suit un passage encadré d’un trait concernant le manuscrit de ses Mémoires : « à propos de cette boëte, qui contient autant et plus de manuscrit que vous en avés déjà », elle la lui fera porter quand sa cachette sera prête : « Avisés à sa conservation pour tous les cas possibles, afin qu’un protecteur ne lui manque pas, s’il vous arrivoit quelqu’accident ».« Quant à moi Jany, tout est fini. Vous savés la maladie que les Anglois appellent heart-breaken ? J’en suis atteinte sans remède, et je n’ai nulle envie d’en retarder les effets ; la fièvre commence à se développer, j’espère que ce ne sera pas très long. C’est un bien ; jamais ma liberté ne me seroit rendue ; le ciel m’est témoin que je la consacrerois à mon malheureux époux ! Mais, je ne l’aurois point et je pourrois attendre pis ; c’est bien examiné, réfléchi, et jugé ».Suivent des considérations sur les effets de l’amour sur le moral ; sa propre expérience des sentiments amoureux infirme les idées que l’on porte d’ordinaire sur la passion : « c’est par le moral qu’elles sont passions et qu’elles ont de beaux ou d’éclatans effets ; ôtés ce moral, tout n’est qu’appétit et se réduit aux besoins physiques. Si le moral de l’amour ne valoit rien, il faudroit dire que l’état social où il se développe est le pire de tous »…Elle termine en s’inquiétant du sort de Buzot : « Je le crois perdu ; mais, s’il parvenoit jamais dans le monde heureux où votre fils est cultivateur [l’Amérique], ménagés-vous des renseignemens qui vous permettent de lui faire parvenir ce que vous saurés de moi. Je sais que ce sentiment inspire de se conserver pour qui nous aime ; mais je suis à d’autre avant lui, et je n’aurai jamais la faculté de me rendre, même à mes devoirs. Ainsi tout doit finir pour moi. Heureux quand la nature s’y prête ! Adieu Jany, adieu cher Jany, mon unique consolateur ».Publiée dans les Lettres de Madame Roland (éd. Claude Perroud, Imprimerie nationale, 1900-1902, t. II, p. 528, n° 551).Ancienne collection du marquis de L’Aigle (25 mai 1973, n° 85)
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