Lot n° 285

Marie-Thérèse Rodet, Madame GEOFFRIN (1699-1777) femme de lettres et amie des philosophes, elle eut un des salons les plus célèbres de son époque.Lettre autographe, Vienne 12 juin 1766, à son ami M. Boutin le fils, receveur général des...

Estimation : 3 000 / 4 000
Adjudication : Invendu
Description
finances, à Paris ; 6 pages in-4, adresse avec contreseing ms de Bouret.Très longue et belle lettre sur son séjour à Vienne lors de son voyage vers la Pologne. Répondant à l’invitation du Roi de Pologne Stanislas Poniatowski, Mme Geoffrin (alors âgée de 68 ans) a quitté Paris quelques semaines plus tôt. Elle raconte à son « cher petit ami » sa halte à Vienne, où elle est arrivée il y a quelques jours, en parfaite santé : « J’ay eu pendant tout le voiage, ces sertaine belles couleurs que j’avois pendant celuy du Housset, quoi que je n’aye pas bue le petit coup, ni chanté la chansonnette »… Elle s’est arrêtée à Dorlac [Durlach] où elle a été reçue par le Margrave et la Margravine : « nous avons eu les yeux mouillé en nous séparant. J’y ay ai été aussi a mon aise que je le suis chez moi. On m’a fait promêtre d’y retourner. Le prince et la princesse ont de l’esprit, et du goût pour les arts. Mais cela n’est ni eclairé, ni conduit, cette petit cour la est magnifique et servie a la françoise ». Son voyage fait plus de bruit à Vienne qu’à Paris : « Il y avoit quinze jours que le prince de Kaunitz avoit donné ordre aux postes que l’on l’averti de mon arriver ». Elle pensait séjourner trois ou quatre jours dans son auberge, mais il en a été tout autrement. Dès son arrivée, sa chambre a été remplie de valets et de pages, porteurs de compliments et d’invitations, puis « les embassadeurs de toutes les cours, et tous les seigneurs que j’ay reçu chez moi depuis bien des années, et dont je ne souvenois presque plus, sont venu me voir, avec des expressions de reconoissance, et de sentiments, dont j’ay esté confondue ». La princesse Kinski ne la quitte plus. Le prince Galitzine est venu le soir même de son arrivée : « Il ma donné tout ce qui me manquoit dans mon auberge il m’anvoye tous les matins du café à la crème. Son carosse est le mien, enfin je suis comblée et accablée de ces attentions » ; c’est un homme adorable, qui ne la quitte pas. Elle va tous les jours chez le prince Kaunitz, « le per ministre de tous les pers ministre de l’Europe. Il a un pouvoir absolu et une représentation d’une dignité, et d’une magnificence ynimaginable ». Elle va dîner dans son jardin à deux pas de Vienne, où on fait une très bonne chère ; et elle passe ses soirées dans son appartement au palais impérial, « superbe, bien eclairé et remplie de toute la cour et la ville, et on y est comme si on etoit dans son boudoir » ; Kaunitz s’assied à côté d’elle et lui parle « avec beaucoup d’intimité. Et là, on me fait des présentations sans fin, en me parlant de ma grande réputation, et de mon grand mérite. Vous autre qui vous moqué de moi toute la journée, vous seriez confondus si vous voiez le cas que l’on fait de moi ici »… Elle raconte encore sa première rencontre sur la promenade publique avec l’Empereur, qui vint lui parler à la portière de son carosse : « Il me dit que le roi de Pologne etoit bien heureux d’avoir une amie comme moi. Je fus confondue et n’ay jamais etée si bête ». Le lendemain, elle a été reçue par l’Impératrice Marie-Thérèse à Schönbrunn : « Limperatrice ma parlé avec une bonté, et une grace inexprimable elle m’a nommée toutes les archiduchesses l’une apres l’autre, et les jeunes archiducs. C’est la plus belle chose, que cette famille qu’il soit possible d’imaginer. Il y a la fille de l’empeureur arriere petite fille du roi de France, elle a deux [douze] ans. Elle est belle comme un ange. L’imperatrice ma recommendée décrire en France que je l’avois vue cette petite, et que je la trouvois belle » [il s’agit de Marie-Antoinette]… Elle croit rêver, et a confié la veille à Kaunitz : « Mon prince la reine de Trébisonde ne pouvoit pas être reçue mieux que moi. Il me répondit personne ne peut être vu ici avec plus destime, et de considération que vous. Vous etes respectée plus que vous ne pouvez jamais vous l’imaginer»… Le Roi de Pologne a tout mis en œuvre pour « rendre mon voiage tres commode », et lui a envoyé un gentilhomme au titre de capitaine, parlant toutes les langues, chargé de la conduire chez lui, avec meubles, vaisselle d’argent, cuisinier… Elle charge son petit ami de compliments pour tous ses proches. Elle lui écrira de Varsovie. Elle ajoute pour finir que « l’imperatrice ma trouvée le plus beau teint du monde ». Elle quite Vienne le lendemain.Publication par Edmond et Jules de Goncourt, Portraits intimes du XVIIIe siècle (Dentu, 1857-1858, t. I, p. 166-175).Ancienne collection du marquis de Biencourt.
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